Jamais

 

 

                                          I

 

Je ne te connais plus ; non, je t’ai trop aimée.

Puisque notre bonheur n’est que cendre et fumée,

Reste dans ton chagrin ; moi, dans mon désespoir.

Je ne reprendrai plus la route accoutumée,

Qui mène au toit riant, caché sous la ramée !...

De quels yeux, et comment pourrais-je te revoir ?

 

J’irais par ces grands bois où, légère et mutine,

Tu cueillais avec moi le muguet, l’églantine ;

Et mon cœur songerait en te voyant demain

À ces beaux soirs d’hiver pleins de joie enfantine

Où je te récitais Byron et Lamartine,

Tandis que tu rêvais en me serrant la main !

 

Je t’ai rendu ta clef et, d’une âme incertaine,

Il me faudrait sonner à ta porte hautaine !

Me reconnaîtrais-tu ? Pourrais-tu me charmer ?

Qui sait ? Après trois mois d’une absence lointaine,

Nous nous regarderions avec froideur ou haine,

Et tous deux étonnés d’avoir pu nous aimer !

 

La maison de mes pas a-t-elle encor la trace ?

Où traînez-vous, doux vers, plume, encre, paperasse ?

Le piano joyeux a-t-il tu sa chanson ?

Les meubles n’ont-ils pas été changés de place,

Et mon portrait est-il au cadre de la glace ?

T’habilles-tu toujours de la même façon ?...

 

Puis autre chose encor, – pardonne à ma folie ! –

Si je te revoyais, ta figure pâlie,

Un seul mot, un regard, un sourire moqueur,

Peut-être m’apprendrait que ton âme avilie,

Près d’un autre déjà, se console et m’oublie !...

Et je veux épargner cet affront à mon cœur !

 

Je veux garder toujours l’illusion suprême !

Fidèle au souvenir, religieux quand même,

Je reste sur mon rêve, et sans le renier !

Apostat de l’amour, honteux de son baptême,

On ne me verra point jeter un seul blasphème

Au Dieu que j’adorais, et qu’on m’a vu prier !

 

Telle qu’au premier soir, superbe, échevelée,

Dors en mon souvenir par le regret voilée.

Qui donc pourrais-je aimer sur la terre après toi ?

Enivre tous les cœurs, suis ta route affolée ;

Dieu te fit pour sourire et pour être adulée,

Sois heureuse ici-bas, mais sois morte pour moi !

 

 

                                          II

 

La nuit, regarde au ciel ce bolide qui passe,

Fuyard, étincelant, de feu semant sa trace,

Il sillonne l’éther, il glisse au firmament ;

Et les astres tremblants, les mondes de l’espace

S’écartent pour celui qu’un cataclysme chasse

D’une étoile d’argent dont il était l’amant !

 

Étalon de la nue, hippogriffe intrépide,

Faisant jaillir l’éclair de son sabot rapide,

De sa crinière d’or illuminant la nuit,

Se cabrant dans le ciel, sautant dans l’air limpide,

Sur la terre qui dort et roule dans le vide,

Il tombe formidable et s’abat avec bruit !

 

Rejeté pour jamais de la voûte azurée,

Maintenant sans rayons, sans couronne dorée,

Ce n’est plus qu’un bloc noir, terne et silencieux ;

Il ne reverra plus son étoile adorée,

Et, cloué sur la terre, il pleure l’empyrée !...

– Tel est mon triste cœur, il est tombé des cieux.

 

 

 

Georges de PORTO-RICHE, Tout n’est pas rose, 1877.

 

 

 

 

 

www.biblisem.net