Pensées d’un mystique sur Lourdes

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Émile POUVILLON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

UN MYSTIQUE

 

se tient à l’écart, bras croisés, la tête inclinée un peu. Il médite.

Un miracle !

Il relève la tête.

Pourquoi pas ? Les lois de la nature sont invariables, c’est vrai. Mais la loi, la loi unique, la loi absolue, qui peut se vanter de l’avoir lue sur le visage changeant des phénomènes ? Cet églantier sur lequel Bernadette a vu se poser les pieds nus de la Vierge, cet églantier sauvage en sait juste autant que moi sur les limites du possible et de l’impossible. Condamnée à tout ignorer, curieuse de tout connaître, que misérable est la condition de la race humaine ! Les philosophies passent, le Mystère reste. Que faire, chétifs ? De nos faibles doigts comment saisir l’immensité de la vie universelle ? Que faire ? Abdiquer ; se délivrer du moi, se donner dans l’acte de foi du chrétien, disparaître vivant dans l’absolu.

Il hésite, sourit amèrement.

Se donner ? C’est peut-être beaucoup. Et l’occasion est-elle vraiment si pressante ? Quoi ! Pour l’étonnement d’une thaumaturgie pratiquée de tout temps et par tous les cultes ? pour le soulagement inattendu de quelques misères privilégiées ? pourquoi privilégiées ? pour quelques gouttes de joie inutiles, perdues qu’elles sont dans l’Océan de la douleur humaine ? Se donner pour si peu ! Échapper à l’obscurité formidable du grand mystère, pour acquiescer à l’obscurité du petit mystère catholique, où est l’avantage ?

Silence encore ; puis résolument :

L’avantage, il est dans la douceur d’espérer, dans le bonheur de croire. Il est dans la foi. Ce n’est pas notre faute, si la science invoquée se dérobe, si les méthodes essayées l’une après l’autre font faillite. Une trop longue dictature de la raison nous en a fait toucher les limites ; combien étroites, hélas ! combien dures ! Espérons ailleurs. Hélons l’inconnu, embarquons-nous dans le rêve. À quoi bon le plein jour, s’il n’éclaire que le néant ! Oh ! ne résistons plus. Laissons se répandre sur nous l’ombre du merveilleux, cette ombre secourable pareille à celle que fait la lampe baissée dans la chambre d’un malade !

Il s’agenouille, baise le rocher, fait le signe de la croix et sort.

 

 

PLUSIEURS PÈLERINS

 

en route pour la chapelle de Bétharram, se sont arrêtés en apprenant le miracle. Ils défilent bourdon en main en chantant le vieux cantique des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle.

 

            Quand nous fûmes au pont qui tremble,

            Hélas ! mon Dieu !

            Nous ne trouvâmes point d’église

            Pour prier Dieu ;

            

            Les huguenots l’avaient détruite

            En grande malice ;

            C’est en dépit de Jésus-Christ

            Et de la Vierge Marie.

 

Ils passent. – Après eux vient

 

 

UN POÈTE

 

Il rêve.

Là, tout à l’heure, cette vision du ciel, cette icône vivante, si un œil de poète avait pu la saisir ! L’imaginer ? Présomption. La polychromie des adjectifs, le bercement des rythmes, qu’est-ce, tout cela, pour exprimer l’inexprimable !

Ce qu’il faudrait ? Oublier toutes les formes d’art, se refaire une âme d’enfant, de tout petit enfant, agenouillé devant le mystère. L’image qui se refuse à la réflexion, l’ingénuité la cueillerait peut-être.

Je me souviens, autrefois, quand ma mère me conduisait à l’église, le dimanche ; que c’était beau ! Autour de moi tout était neige et or, splendeur et innocence. Oh ! mon âme d’enfant ! Si j’essayais !

Il prend un crayon, écrit, rature sur son carnet, puis le geste tourné vers le rocher, il récite :

 

            La Vierge a quitté sa maison en or,

            Son château du ciel et sa tour d’ivoire ;

            Pour nous visiter – Oh ! douceur d’y croire !

            La Vierge a quitté son enfant qui dort.

            

            Pieds nus, toute en blanc, dans la grotte noire,

            La Vierge est venue, et le printemps mort

            Soudain refleurit, et du rocher, sort

            L’eau du miracle où les âmes vont boire.

            

            Âmes justes et vous, lis ingénus,

            La Vierge vous cueille au hasard des branches

            Puis, au pays des éternels dimanches,

            

            Elle vous porte, en sa robe cousus :

            Moisson de lis blancs, moisson d’âmes blanches,

            Ce sont les jouets de l’enfant jésus !

 

 

 

 

Émile POUVILLON,

Bernadette de Lourdes, p. 123-128.

 

Recueilli dans

Anthologie des meilleurs écrivains de Lourdes,

par Louis de Bonnières, 1922.