Les demi-dieux

 

 

Michel-Ange, Vinci, Titien et Raphaël !

Les voilà les titans, les divins, les poètes,

Ceux que l’amour créait de lumière et de ciel,

Et qui portaient au front le signe des prophètes !

Ceux-là pouvaient vraiment s’élever près de Dieu,

Imprégner de splendeur leur cœur et leurs pensées,

Et jeter sur un monde ardent et radieux

Toutes les visions qu’ils avaient caressées.

 

Jamais sur leur esprit ne se faisait la nuit :

Quand leur vie était sombre et la terre souffrante,

Que les choses semblaient sans raison et sans fruit,

Ardents, ils descendaient en leur âme vibrante,

Assurés d’y trouver l’éternelle beauté,

Et soudain tout le ciel et toute la nature,

Vivaient, chantaient, roulaient en vagues de clarté,

En ruissellement d’or, de pourpre et de verdure !

 

Les cieux, les blés, les champs leur jetaient des couleurs ;

La gloire les suivait en s’offrant d’elle-même...

Ils n’avaient qu’à jeter un regard sur les fleurs

Pour que leur feu montât, éclatant et suprême,

Et courût en frissons sur leurs pinceaux puissants ;

Ils avaient dans les yeux des images étranges,

Des hantises, et sous leurs mains d’adolescents,

Naissaient, vivaient des saints, des vierges et des anges !

 

Hélas ! on ne sait plus, aujourd’hui : l’homme est las.

Ses yeux n’ont plus d’ardeur et sa main plus d’audace...

Pour lui, le soleil naît et sombre sans éclat,

Comme si le mensonge avait terni sa face !

Et tout cela lui fait une âme faible et lâche

Qui n’a plus la fierté de son rêve éclatant,

Et qui, soumis enfin à sa minable tâche,

Refuse de se voir, de penser, mais attend !

 

Patience ! Il attend qu’une flamme s’allume

Et descende bientôt sur son front, dans son cœur ;

Il muse longuement, taille à demi sa plume,

Et tend l’oreille au bruit d’un invisible chœur...

Travailler ? Le ciseau sous son effort s’ébrèche ;

La lyre sous ses doigts se brise et se détend ;

Le pinceau bave et tombe et la toile est revêche...

– Plus tard, dit-il, plus tard !

                                            Et toujours il attend !

 

 

 

Antonin PROULX, Ottawa, juin 1919.

 

Paru dans La Revue nationale en juillet 1919.