La chanson des nuques

 

 

Dans le temple où les chants montent et s’entremêlent,

Voici que près du chœur la Sainte auréolée

Vers Jésus, abaissant ses deux mains criminelles,

– Ô mon Dieu – tombe, ainsi qu’une biche immolée.

 

Mais, tandis que sa bouche égrène les distiques,

Dans le temple où les chants glissent le long des murs,

Un cri profane et lent suit les hymnes mystiques

Et, dans l’orgueil hagard des douleurs extatiques,

Flotte parmi l’encens en des rythmes impurs.

 

Tel fut le saint colloque

De Marie Alacoque :

 

« Jésus, à tes pieds, ton esclave

Meurt en des amours infinies ;

Grâce pour son âme qui brave

La terreur de ces agonies ;

 

Verse le réchauffant trésor de Ton grand Cœur

Sur ce front pâlissant que la fièvre dévore,

Pour faire qu’en ce sein redouble la Ferveur,

Divin Crucifié, pâle comme l’Aurore. »

 

D’autres Voix chantèrent alors

À Jésus le Miséricors :

 

« Christ, voici devant toi les Nuques suppliantes,

Tendant leur chair si blonde à tes baisers d’Amant :

Vois, sous l’or des cheveux aux frisures charmantes,

L’humble soumission, Jésus, de tes servantes,

Qui, lasses des humains aux amours décevantes,

Viennent à ton autel avec égarement. »

 

Puis reprit le colloque

De Marie Alacoque :

 

« Comme la flamme de ce cierge,

Je suis pure, ô Roi, je suis vierge :

Ce cœur que nul n’a possédé,

C’est à toi que je l’ai cédé,

 

Et je veux qu’il frissonne au vent de ta caresse

Comme un lys indolent au baiser du zéphyr,

Et qu’il s'endorme, endolori, plein de paresse,

Tout fier d’avoir été l’Élu de Ton Désir. »

 

Les Voix remontèrent alors

À Jésus le Miséricors :

 

« On nous a dit que tu voulais des pécheresses

Pleurant leur repentir près de ton piédestal,

Que ton Cœur demandait d’innombrables maîtresses

Aux savantes vertus, aux nerveuses détresses,

Et que tu te plaisais à dénouer les tresses

Où rôde le parfum énervant du santal ? »

 

Là finit le colloque

De Marie Alacoque :

 

« Pour Toi, j’irai sous le suaire

Gravir pas à pas Ton calvaire

En chantant un hymne éperdu

Où tout mon Cœur soit répandu.

 

J’aurai sur mon épaule innocente et meurtrie,

La palme du martyre et de l’Éternité,

Et ma lèvre, dans la prière, si flétrie,

Te retrouvera, sans t’avoir jamais quitté. »

 

Les douces Voix dirent alors

À Jésus le Miséricors :

 

« Puisque tu sais aimer d’une Amour éternelle,

Puisque tes yeux sont bleus comme le ciel de Mai,

Puisque tu veux un cœur à-demi consumé,

Homme-Dieu, dont la voix doit être solennelle

Comme le chant du Ciel quand la foudre étincelle,

Dis, Jésus, nous veux-tu sur ton sein bien-aimé ? »

 

Dans l’infini silence et la nuit de l’Église,

Il passa des parfums et des chansons de brise

Parmi les cœurs émus, – et Jésus – l’Épousé

Laissant mugir alors son front cicatrisé

Abaissa son regard sur toutes ces faiblesses,

Et dit en souriant :

– Venez... les Pécheresses !

 

 

 

Maurice QUILLOT.

 

Paru dans La Conque,

Anthologie des plus jeunes poèes,

1891-1892.

 

 

 

 

 

 

 

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