Cantique IV

 

Sur les vaines occupations des gens du siècle

(Tiré des divers endroits d’Isaïe et de Jérémie)

 

 

Quel charme vainqueur du monde

Vers Dieu m’élève aujourd’hui ?

Malheureux l’homme qui fonde

Sur les hommes son appui !

Leur gloire fuit, et s’efface

En moins de temps que la trace

Du vaisseau qui fend les mers,

Ou de la flèche rapide

Qui, loin de l’œil qui la guide,

Cherche l’oiseau dans les airs.

 

De la sagesse immortelle

La voix tonne, et nous instruit.

« Enfants des hommes, dit-elle,

De vos soins quel est le fruit ?

Du plus pur sang de vos veines

Par quelle erreur, âmes vaines,

Achetez-vous si souvent,

Non un pain qui vous repaisse,

Mais une ombre qui vous laisse

Plus affamés que devant ?

 

« Le pain que je vous propose

Sert aux anges d’aliment :

Dieu lui-même le compose

De la fleur de son froment.

C’est ce pain si délectable

Que ne sert point à sa table

Le monde que vous suivez.

Je l’offre à qui veut me suivre.

Approchez. Voulez-vous vivre ?

Prenez, mangez, et vivez. »

 

Ô Sagesse, ta parole

Fit éclore l’univers,

Posa sur un double pôle

La terre au milieu des mers.

Tu dis, et les cieux parurent,

Et tous les astres coururent

Dans leur ordre se placer.

Avant les siècles tu règnes ;

Et qui suis-je, que tu daignes

Jusqu’à moi te rabaisser ?

 

Le Verbe, image du Père,

Laissa son trône éternel,

Et d’une mortelle mère

Voulut naître homme et mortel.

Comme l’orgueil fut le crime

Dont il naissait la victime,

Il dépouilla sa splendeur

Et vint, pauvre et misérable,

Apprendre à l’homme coupable

Sa véritable grandeur.

 

L’âme heureusement captive

Sous ton joug trouve la paix,

Et s’abreuve d’une eau vive

Qui ne s’épuise jamais.

Chacun peut boire en cette onde :

Elle invite tout le monde :

Mais nous courons follement

Chercher des sources bourbeuses

Ou des citernes trompeuses

D’où l’eau fuit à tout moment.

 

 

 

Jean RACINE.

 

Recueilli dans La poésie mystique,

Jean Mambrino, Seghers, 1973.

 

 

 

 

 

 

 

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