La ballade des poètes maudits

 

 

Pour le recueil de leur maître Verlaine,

il est encor de sombres artisans :

fiers meurt-de-faim qui vont, sans drap ni laine,

et fous d’espoir, au dur chemin des ans.

Couchant doré de rayons séduisants,

l’idéal tient leurs prunelles fixées

sur l’horizon des routes commencées.

Leur belle audace a des gestes hardis !

Mais, il est plein de larmes entassées,

le triste cœur des poètes maudits !

 

La Vie, injuste et borgne souveraine,

qui baille aux uns tant de jours complaisants,

pour tout partage, en miettes, leur égrène,

assaisonné de rires méprisants,

un froment noir, rebut des paysans.

Leur Muse, blême et les ailes cassées,

vient, quand le soir, sur leurs têtes lassées,

a déroulé ses velours alourdis,

bercer, avec des chansons angoissées,

le triste cœur des poètes maudits !

 

Qu’il en trébuche, ô Mort ! en ton domaine,

sous le fardeau des rêves écrasants,

de ces forçats que le destin malmène :

la Gloire ainsi traite ses courtisans !

Ah ! dans l’histoire, après les maux présents,

si quelque barde, aux lèvres exercées,

perpétuait, du moins, leurs odyssées !...

Mais, seul, épris de sanglots inédits,

l’automne exalte à ses feuilles blessées

le triste cœur des poètes maudits !

 

 

                        L’ENVOI

 

Dieu, créateur du rythme et des pensées,

quand tu joindras leurs maigres mains glacées,

place, au plus haut degré du Paradis,

en souvenir de leurs affres passées,

le triste cœur des poètes maudits !...

 

 

 

Lucien RAINIER, Avec ma vie,

Montréal, Éditions du Devoir, 1931.

 

 

 

 

 

 

 

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