L’enfant

 

 

PROLOGUE AUX MÈRES

 

 

L’homme n’est pas le roi de la création,

C’est l’enfant. Il sourit dans les crocs du lion,

Et le lion vaincu le rapporte à sa mère ;

Il bégaye, et sa voix passe, en douceur, Homère.

Du berceau, comme Hercule, il descend triomphant ;

L’homme cède à la femme, et la femme à l’enfant.

 

Il ne sait pas marcher, l’innocent, et nous mène.

On lui met la litière : il nous forge une chaîne,

Il nous rive un collier fait de deux petits bras :

Tout le monde obéit, même les scélérats.

Contre qui veut lutter, quelles terribles armes :

Les foudres enfantins, des cris mêlés de larmes !

Ainsi tout est soumis à ce roi nouveau-né,

Et du fond des berceaux le monde est gouverné.

 

Ô mères, c’est qu’aussi les roses les plus fraîches

Et les lis les plus blancs fleurissent dans vos crèches !

Fleurs d’amour, beaux enfants, aux yeux clairs, au front doux,

Que l’on berce et qu’on fait sauter sur ses genoux !

Gai comme le matin et comme l’innocence,

Rose comme l’espoir et tout ce qui commence,

L’enfant, c’est le soleil qui rit dans la maison,

Le renouveau de Dieu dans l’arrière-saison.

Arbres découronnés, quand la jeunesse est morte,

Quand le printemps nous quitte et tout ce qu’il emporte

Sur nos bras blanchissants qui frissonnent à l’air,

Un bourgeon a poussé pour sourire à l’hiver.

 

L’enfant paraît : sa vue éclaircit les visages ;

Il sourit : son sourire a chassé les nuages ;

Il parle : ô talisman de ses mots ingénus !

Il marche, et nos soucis meurent sous ses pieds nus !

On l’appelle : il accourt avec beaucoup de zèle,

Par bonds, comme un oiseau dont on a coupé l’aile,

Il s’avance étonné de la terre, indécis,

Gauche comme un Amour tombé du paradis !

 

Rien n’a taché son cœur, rien n’a souillé sa lèvre,

Vierge comme le lait dont à peine on le sèvre.

Il n’a pas encor fait ni trahi de serment.

Jamais il ne rougit, car jamais il ne ment.

Mais on rougit souvent devant lui, juge austère !

Il est très redouté ; nul coupable mystère,

Lorsque le petit ange accourt le front joyeux,

N’ose affronter le ciel qui brille dans ses yeux !

Près de lui la pensée impure est sacrilège.

Qui te profanerait, front blanc et cœur de neige ?

Ô bienheureux l’enfant candide et triomphant ?

Bienheureux l’homme fait qui ressemble à l’enfant !

Mais, pour qu’il s’en rapproche, ô mères, prenez garde !

Quand vous l’élèverez, car cela vous regarde,

Et pour qu’en grandissant, grandisse aussi son cœur,

De lui verser tout jeune une bonne liqueur ;

Si douce qu’elle soit, il se peut qu’il l’oublie,

Mais il en gardera le goût toute sa vie.

Et tous ses souvenirs en seront parfumés

Comme de vos baisers sur sa lèvre imprimés.

 

 

 

Louis RATISBONNE.

 

 

 

 

 

 

 

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