Camoëns

 

ODE.

 

 

HABITANTS des rives du Tage,

Dirigez mes pas incertains :

J’apporte mon pieux hommage

Au chantre heureux des Lusitains ;

Montrez-moi l’auguste retraite

Où repose ce grand poète,

Comblé d’honneurs et de bienfaits.

Que vois-je ! votre indifférence

Dans le besoin, dans la souffrance

Laisse l’Homère portugais !

 

Barbares ! l’affreuse indigence,

Les noirs chagrins et la douleur

Auraient épuisé sa constance

S’il ne dominait le malheur.

Dans ce délaissement funeste,

Un ami toutefois lui reste,

Mais ce n’est pas un Lusitain ;

Chaque soir sa main charitable

Quête le pain que sur leur table

Ils partagent le lendemain.

 

Antonio ! ton digne maître

T’aurait célébré dans ses chants...

Les miens t’assureront peut-être

Des souvenirs non moins touchants.

Apprends, serviteur magnanime,

Qu’un dénoûment aussi sublime,

D’âge en âge sera cité ;

Oui, de mes chants écho fidèle,

L’avenir dira que ton zèle

Ennoblit la mendicité.

 

Cependant, ce zèle pudique,

Durant la nuit, à demi voix,

Demande à la pitié publique

D’acquitter la dette des rois.

Pourquoi te cacher ? Bélisaire,

Étalant sa noble misère,

Ne croyait pas s’humilier,

Lorsque ce casque où la Victoire

Ceignit les palmes de la Gloire

Était réduit à mendier.

 

Ose te montrer dans Lisbonne,

Mendie à la clarté du jour,

Impose une pieuse aumône

Et sur le peuple et sur la cour ;

Qu’avec toi l’illustre poème,

Plus hardi que l’auteur lui-même,

Implore ses concitoyens :

Et les cœurs les plus insensibles :

Frémiront à ces mots terribles :

« Faites l’aumône à Camoëns. »

 

Mais non ; digue rival d’Homère,

De son indigence héritier,

Il sait souffrir, il sait se taire,

Il veut le malheur tout entier.

Leur pitié serait un outrage.

Que la gloire le dédommage

Et de sa vie et de sa mort :

Fort de courage et d’espérance

Il se résigne à la souffrance

Sans orgueil comme sans effort.

 

Écoutons, il parle, il s’écrie :

« Lusitains ingrats ou jaloux !

« Lorsque j’illustrais ma patrie

« Je n’ai rien espéré de vous.

« Je souffre, mais j’ai l’assurance

« Qu’un jour de votre indifférence

« Vos enfants sauront s’indigner.

« Je souffre, mais avec courage ;

« Ma gloire est de braver l’outrage,

« Ma vertu de le pardonner.

 

« Et n’ai-je pas offert moi-même

« Dans les succès de mes héros

« Le consolant et digne emblème

« Du génie et de ses travaux ?

« Pour conquérir aux eaux du Tage

« Les tributs d’un lointain rivage

« Suffisait-il de la valeur ?

« Non, non, il leur fallait encore

« Cette constance qui s’honore

« De lutter contre le malheur.

 

« Le géant du Cap des Tempêtes

« Soudain se dresse devint eux,

« Déploie au-dessus de leurs têtes

« Son corps immense, monstrueux.

« D’une main il touche aux nuages

« D’où la foudre et tous les orages

« Seront à l’instant détachés ;

« De l’autre il refoule les ondes,

« Ouvrant les cavités profondes

« Où les abîmes sont cachés.

 

« Fuyez, leur dit-il avec rage,

« Ô téméraires étrangers !

« C’est moi qui fermai ce passage ;

« Ici j’amasse les dangers.

« Mais eux au haut du promontoire,

« Ont bientôt reconnu la Gloire

« Qui les promet à l’univers ;

« Soudain, ces guerriers magnanimes,

« Bravant la foudre et les abîmes,

« Ravissent les sceptre des mers.

 

« Qui n’applaudit en cette image

« L’homme dont l’intrépidité

« Force le pénible passage

« Qui mène à la postérité ?

« Si jusqu’aux palmes immortelles

« Il tente des routes nouvelles

« Son siècle voudra l’en punir ;

« Mais, quand l’ignorante et l’envie

« Persécutent sa noble vie,

« Il se jette dans l’avenir.

 

« Et n’atteniez pas qu’il se plaigne

« Ni des hommes ni du destin ;

« Qu’on l’oublie ou qu’on le dédaigne,

« Son espoir n’est pas incertain.

« Souvent l’envie inexorable

« S’applaudit d’un excès coupable,

« Elle croit l’avoir insulté ;

« Et lui, sans regret ni murmure,

« Expiant la gloire future,

« Rêve son immortalité.

 

« Et que nous font les vains hommages

« D’un peuple follement épris,

« Qui tour à tour à nos images

« Porte le culte ou le mépris !

« Écoutons l’instinct magnanime

« Qui nous prédit la longue estime

« Des temps et des lieux ignorés ;

« Que le vulgaire nous condamne ;

« Autour de nous tout est profane,

« Nous n’en sommes que plus sacrés. »

 

Il a dit : mon respect contemple

Ce vainqueur de l’adversité,

À l’univers donnant l’exemple

De souffrir avec dignité.

Imitez cet exemple auguste,

Talents qu’outrage un sort injuste,

Ou l’ignorance des mortels

Soutenez cette noble lutte ;

Si, vivants, on vous persécute,

Morts, on vous dresse des autels.

 

 

 

François RAYNOUARD.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1826.

 

 

 

 

 

 

 

 

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