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Père, dans cette chair...


Père, dans cette chair où l’homme entend quelqu’un
qui n’est pourtant pas lui sans cesse lui parler,
sans cesse le hanter d’un feu et d’un parfum
plus fort et plus secret que l’odeur de l’été,

dans ce corps qui sans cesse et partout dans le monde
ne peut chercher qu’en vain de limite en limite
à trouver en lui seul la substance féconde
capable de combler le désir qui l’habite,

de combler cet espoir qui le dépasse tant
et qui est cependant si pleinement sa terre
que rien ne peut germer et donner son froment
sans recevoir de lui ce qu’il reçoit du Père,

qui d’autre que l’Esprit aurait pu comme l’or
enfanter cet espoir, ce désir et ce feu
et faire déferler et passer sur la mort
ce grand fleuve vivant qui prend sa source en Dieu,

qui d’autre aurait que vous pu jamais y creuser
ce lieu central en lui qui est un lieu sacré,
un lieu avide et nu et uniquement fait
aux mesures du Dieu qui doit y demeurer,

un lieu fait à la fois pour le Père et pour l’homme,
pour que le Verbe l’ouvre et que l’homme à son tour
en s’y ouvrant à Dieu s’y ouvre aussi à l’homme
et en se connaissant connaisse votre amour,

un lieu essentiel, un lieu de vérité
que peut seul appeler à s’ouvrir à la Vie
Celui qui entre l’homme et votre éternité
est seul le Corps parfait qui les couvre et les lie,

est l’unique Parole, unissant l’Homme et Dieu,
qui soit universelle et unique pour tous
et qui puisse combler cette attente et ce lieu
en se donnant à tout pour que tout soit à vous,

Père, dans cette chair où l’homme n’est vivant
qu’en vivant dans le Christ et en vivant de lui
il faut pourtant que l’homme en vous offrant
son sang accepte librement les semences du Christ,

que librement lui-même il se donne à l’amour
pour que l’amour soit fait de son exacte force,
pour que la joie du Christ soit la joie de ses jours
et le monde la joie qui naîtra de leurs noces,

et pour que ce qu’il nomme ait son sens en lui-même
selon le nom vivant dont Dieu l’aura nommé,
selon le nom vivant qui le change en lui-même
et qui est le seul nom dont il doit se nommer,

et qu’il nomme la terre et que la terre entière
à travers son vrai nom prenne le nom du Christ,
prenne le nom nouveau et le nom de lumière
que le Christ a pour elle annoncé dans le Christ,

et que tout ce qu’il nomme ait le poids de son sang,
le poids du corps de gloire et le poids de l’esprit
que chaque homme ne prend qu’en ce Corps et ce Sang
qui font de ses moissons les moissons de l’Esprit,

et qu’en nommant en vous la souffrance du monde
le sang du monde s’ouvre et soit changé en joie
et que le monde en vous devienne l’autre monde
fait de ce monde même ouvert à l’autre joie,

et que l’arbre qu’il nomme avec le nom de Dieu
ait soudain dans le temps pouvoir d’éternité
et puisse dès ici par la force de Dieu
prendre déjà le corps de son éternité,

et pour qu’en se nommant dans les noces de l’homme
uniquement nommées au centre où est le Christ,
l’homme assume vraiment la mesure de l’Homme
et que tout avec lui forme le Corps du Christ !




Jean-Claude RENARD, Père, voici que l’homme, 1955.



 

 

 

 

 

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