Aux fleurs de l’an passé

 

 

Pauvres fleurs que j’aimais, qu’êtes-vous devenues ?

L’œil attristé vous cherche, et sur vos tiges nues

Rien, pas même une feuille échappée à la mort !

            Cependant, que vous étiez belles

Dans la saison des nids et des amours nouvelles !

Mais qu’épargne ici-bas l’injustice du sort ?

 

Pour le pauvre, des fleurs sont toute une richesse,

Quelques fleurs dans un pot, pour lui c’est un jardin ;

Que j’aimais à les voir quand, brillants de jeunesse,

Leurs boutons s’entr’ouvraient au soleil du matin !

Oubliant mes ennuis, ma tristesse sauvage,

J’allais de l’une à l’autre, et c’était du bonheur ;

Car nous nous comprenions, nous avions un langage

            Tout plein d’une exquise douceur.

 

Je savais bégayer la langue du poète ;

Les vers les plus riants, je les leur récitais.

Rien qu’à les regarder, mon âme était en fête ;

            Elles étaient là, je chantais.

Les parfums exhalés d’une fraîche corolle,

Leurs feuilles frémissant au souffle du zéphir,

Et dans la coupe humide une perle d’Ophir,

            C’est pour moi leur douce parole.

 

Le poète et les fleurs se sont toujours aimés,

Car vous êtes pour lui le retour de l’aurore ;

La plus humble de vous, que ses pleurs font éclore,

            Attire nos regards charmés.

La puissance de Dieu gronde dans le tonnerre ;

Elle épouvante au sein de sublimes horreurs ;

Le ciel éblouissant la raconte à la terre,

            Mais son sourire est dans les fleurs.

 

Un sourire de Dieu sans doute vous fit naître,

Et de là tant de grâce et de pouvoir sur nous :

Salomon dans sa gloire, a dit le divin Maître,

Enviait cet éclat qui n’appartient qu’à vous !

Votre empire est si doux que le plus méchant même

Ne sait pas résister à vos touchants attraits ;

            L’exilé vous cherche et vous aime,

Vous naissez dans des champs qu’il n’oubliera jamais.

 

Aux flots qu’on voit briller à travers le feuillage

Vous prêtez vos parfums, votre aimable beauté ;

Vous riez aux forêts, plus fraîches sous l’ombrage,

Et le vallon vous doit ce qu’il a d’enchanté.

Quelque chose du ciel partout vous accompagne,

Vous rappelez l’Éden aux regrets du pécheur ;

Jusqu’au bord du glacier qui pend sur la montagne

            Vous délassez le voyageur.

 

Et pourtant aujourd’hui qu’êtes-vous devenues ?

L’œil attristé vous cherche, et sur vos tiges nues

Rien, pas même une feuille échappée à la mort !

            Cependant que vous étiez belles

Dans la saison des nids et des amours nouvelles !

Mais qu’épargne ici-bas l’injustice du sort ?

 

Voyez la jeune fille ; est-il fleur plus charmante ?

Tout sourit sur sa bouche et parle dans ses yeux.

C’est avec ses vertus qu’inspire une âme aimante

Une perle enlevée au riche écrin des cieux.

Elle s’épanouit – un vent glacé se lève ;

Sur sa tige si jeune on la voit se flétrir ;

            Et bientôt, comme d’un beau rêve,

Ce qu’il en restera, c’est un doux souvenir.

 

Le printemps rouvrira sa brillante corbeille ;

            Dans les champs il pleuvra des fleurs ;

Vos calices auront des parfums pour l’abeille,

Et pour l’œil enchanté d’éclatantes couleurs.

Vous aurez éveillé la muse des poëtes,

            Et, joyeux, nous vous chanterons.

Mais qui rendra jamais à nos deuils, à nos fêtes,

            Ces autres fleurs que nous pleurons ?

 

 

 

F. RICHARD-BAUDIN.

 

Paru dans les Annales franc-comtoises en 1864.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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