La nuit de Noël

 

À L’ÉGLISE SAINT-NICOLAS DE NANTES 1 EN 1854.

 

 

                                          À M. L’ABBÉ FOURNIER.

 

 

                                             I

 

Minuit sonne ! Écoutez. La jeune basilique

Va recevoir enfin son baptême d’encens.

Déjà la foule émue assiège le portique,

Et les sons de l’airain s’arrêtent frémissants.

 

Alors que tout s’apaise, accents, joyeux murmures,

Bruits de pas sur le seuil ou pieux entretien,

Sur les hauts clochetons aux fines découpures

Un ange balançait son vol aérien.

 

C’était le gardien, l’Ange du nouveau temple ;

Et, de sa douce voix le jeune Azariel,

Aux nuages disait : Mon esprit vous contemple ;

Parlez, d’où venez-vous, fleurs de l’air et du ciel ?

 

Parlez, reflets changeants de l’astre qui vous dore,

Aux sublimes sommets vous qu’on voit se penchant,

Vous qui donnez la rose et l’iris à l’aurore,

La pâle violette aux rayons du couchant ?

 

Pourquoi ce soir, vapeur, essence moins subtile,

Comme des corps brisés ou des restes flétris,

Vous compté-je à la fois par centaine et par mille ?

De fantômes humains êtes-vous les débris ?

 

Sous le rude aquilon qui secoue et démembre

Vos rangs froids et pressés de son souffle tournant,

Tristes ombres, pourquoi, depuis le deux novembre 2,

Demeurez-vous ainsi dans l’air environnant ?

 

Et tandis qu’il laissait la frange de ses ailes

Ondoyer sur le dôme étincelant de feux,

Les pauvres exilés des plages éternelles

À l’Ange répondaient d’un accent douloureux :

 

Hélas ! en cette nuit au Verbe Dieu si chère,

Où les rois à genoux sont venus l’adorer,

L’étoile qui marchait vers l’Enfant et la Mère,

En se levant, un soir, nous a dit d’espérer.

 

Mais parle, écho divin, à nos esprits révèle

Qui, dans ces tristes jours de languissante foi,

Put élever ce temple, interprète fidèle

Du langage de l’âme entre Dieu, l’homme et toi.

 

Quels trésors l’ont bâti ? D’un prince magnifique

Les dons sont-ils venus sanctifier ce lieu ?

– Non, dit l’Ange, l’auteur de cette basilique

Est la voix d’un seul homme et la grâce de Dieu.

 

La voix d’un homme saint dont la longue prière,

Offerte au nom de tous, remplit chaque moment ;

Et moi, je descendis lorsqu’il posa la pierre

Qui consacrait au ciel ce pieux monument.

 

Oui, j’étais avec lui quand, mendiant sublime,

Il est venu s’asseoir aux portes des palais ;

Pour lui j’ai dérobé les harpes de Solyme,

Et toujours, en tous lieux, avec lui je parlais.

 

Aussi, lorsque la foule, encombrant la chapelle,

Avec enivrement voulait l’entendre encor,

Le flot de sa pensée, en débordant sur elle,

Remontait vers son Dieu, chargé de lingots d’or.

 

C’est ainsi que du temple il posa chaque pierre ;

Et le Christ, par ma voix, vient promettre aujourd’hui

D’exaucer, en retour, la première prière

Qui de ce noble cœur va s’envoler vers lui.

 

Ô bel Ange ! merci, répétèrent les ombres ;

Ce n’est donc pas en vain, fantômes éplorés,

Que l’étoile, en passant dans les nuages sombres,

Comme à ceux de Béthel, nous a dit : Espérez !

 

Mais, dit l’Ange attristé, les oreilles mortelles

N’entendent plus, hélas ! vos accents superflus ;

De vos esprits souffrants les pâles étincelles

Même de l’œil aimé ne s’aperçoivent plus !

 

Tentez l’effort pourtant. Près du saint tabernacle

Lorsqu’il approchera, réunissez vos cœurs :

Si génie et bonté peuvent faire un miracle,

Alors il entendra vos soupirs et vos pleurs.

 

 

                                            II

 

Ouvrons le temple enfin. Tout est vie et lumière,

Musique, fleurs, parfums, encens, cierges brûlants ;

Tout étincelle et monte, âme, ardente prière,

Amour, espoir divin, saints désirs, doux élans !

 

Voyez-vous maintenant ces deux rangs de colonnes

Du portique à l’abside étayant les arceaux,

Et la rose et l’étoile entourant de couronnes,

Près du triforum, les splendides vitraux.

 

Ces symboles parlants, ces lignes ogivales,

Ces végétations, ces chefs-d’œuvre de l’art,

Feuilles, fruits, fleurs, boutons, palmes orientales,

Tout palpite, et partout déjà notre regard

 

Cherche sous les palmiers Notre-Dame-des-Anges,

Blanc autel où la mère offre ses vœux touchants,

Abri délicieux où des saintes phalanges

De jeunes fronts voilés vont répéter les chants.

 

Mais la foule s’émeut, et s’écarte et se presse,

Pour ouvrir un passage au cortège pompeux ;

Les ornements de pourpre, étalant leur richesse,

De perles, de saphirs font scintiller les feux.

 

Après les chapes d’or, la longue dalmatique,

Les yeux brûlants de foi, le voilà qui les suit :

– Mon Dieu, mon Dieu, reçois ma chère Basilique,

Et reprends tous mes jours, Seigneur, pour cette nuit !

 

Avec quels doux transports en ces lieux je contemple,

Sous les lustres chargés de feux éblouissants,

Ce peuple aux mille voix qui demandait un temple,

Dont les cris sont vers toi montés avant l’encens.

 

Oui, j’ai voulu, Seigneur ! que sa libre pensée

Franchit la longue ogive et fit germer sa foi,

Que d’autres en leurs murs tiennent l’âme oppressée :

Plus le peuple grandit, plus il est près de toi.

 

C’est lui qui t’éleva ce temple où lu résides.

L’aumône, le denier, plus que les riches dons

L’ont bâti lentement : des faibles, des timides,

Tu rendis les désirs et les labeurs féconds !

 

Bénis donc, ô mon Dieu ! ce peuple qui t’implore.

Oui, bénis la famille et ses saintes amours,

Et donne seulement au prêtre qui t’adore

De prodiguer à tous sa prière et ses jours.

 

 

                                           III

 

Et le triple hosanna résonne sous les voûtes :

Gloire à toi ! Dieu puissant ! Dieu saint, Dieu des combats !

Mais, du fond de l’abîme, on dirait qu’il écoute

Des voix que nul écho ne répète ici-bas.

 

Il élève l’hostie, et chaque front s’incline :

Ô Christ, Verbe divin, des hommes doux Sauveur !

Pardonne aux trépassés, pour qui ta loi divine

N’a laissé qu’un espoir, qu’un parfum dans le cœur.

 

Après quatre mille ans, voici l’heure suprême

Où des hauteurs du ciel tu descendis enfant ;

Souviens-toi de ces morts, quand tu mourus toi-même,

Qui du sein d’Abraham te suivaient triomphant.

 

Viens de leurs froids tombeaux, ô Christ ! briser la pierre :

Ils se lèvent déjà : Seigneur ! ouvre ton ciel.

Ou, si tu veux encore une lutte dernière,

Donne aux nouveaux Jacobs la force d’Israël.

 

De ces rives d’exil où la douleur les presse,

Viens combler à ma voix leur désir incessant :

Que ne puis-je pour eux, en cette nuit d’ivresse,

Que ne puis-je avec toi répandre tout mon sang ?

 

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  

 

Alors il s’éleva comme un bruit de tempête ;

Tous les cœurs frémissants rêvaient du Sinaï,

Et le simple héros de la sublime fête,

Debout près de l’autel, disait : Adonaï !

 

Répondant à son vœu, des tourbillons de flammes

Frayèrent une trace à son œil éperdu :

Le ciel était ouvert aux innombrables âmes

Dont le funèbre cri par lui fut entendu.

 

Comme un vaste océan aux vagues haletantes,

Tandis qu’il les voyait se plonger dans le ciel,

Palpitant d’harmonie et de voix délirantes,

Son temple était offert par l’ange Azariel.

 

Au céleste contact pâlit le sanctuaire ;

Et le prêtre entendit, dans le temple obscurci,

Le Christ aux bras tendus, les Saints, la Vierge mère,

Et le peuple et les morts qui lui criaient : Merci !

 

 

 

Adine RIOM,

Reflets de la lumière,

1857.

 

 

1. Le monument, dont la première pierre a été posée le 1er août 1841, a été ouvert aux fidèles la nuit de Noël 1584. La messe a été célébrée par M. l’abbé Fournier, fondateur de l’église.

 

2. L’église Saint-Nicolas a été élevée sur un ancien cimetière. Or, d’après les légendes bretonnes et les croyances populaires, les morts sortent en esprits de leurs tombes le 2 novembre, et font une procession autour des églises et des cimetières, de même que l’édification des églises est le moyen le plus sûr pour obtenir la délivrance des âmes du purgatoire.

 

 

 

 

 

 

 

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