Sursum corda

 

À MA LYRE

 

 

JE suis triste, ô mon Dieu !... mes yeux versent des larmes ;

Un cauchemar étreint mon cœur gros de soupirs !...

Et pourtant je ne sais quelles sourdes alarmes

Le ballottent ainsi dans de vagues désirs !...

Mes pieds ont-ils foulé les ronces de la vie ?

Ne suis-je pas heureux ?... Au printemps de mes jours,

Quel autre sort pourrait exciter mon envie ?

Et pourtant je suis triste et je pleure toujours !...

 

                  Ô ma Lyre, ta voix sonore

                  Un jour charmait mon cœur.

                  Reviens, reviens encore,

          Sous mes doigts chanter le Seigneur.

                  Bannis de ma jeunesse

                  Ce rêve qui l’oppresse

                  Et trouble mon bonheur.

 

Mais le bonheur n’est pas une fleur qui grandisse

Sur ce sol étranger, pour l’exilé d’un jour.

C’est au parvis des cieux que son divin calice

S’épanouit et brille au soleil de l’amour.

Trop de vents ici-bas dessèchent ses racines ;

Ici-bas on la sème, on l’arrose de pleurs ;

Mais son germe naissant qu’étouffent les épines

Demande un air plus pur, de plus douces fraîcheurs.

 

                  Ô ma Lyre, ta voix sonore

                  Un jour charmait mon cœur.

                  Reviens, reviens encore,

          Sous mes doigts chanter le Seigneur.

                  Bannis de ma jeunesse

                  Ce rêve qui l’oppresse

                  Et trouble mon bonheur.

 

De la tendre amitié j’ai connu les doux charmes,

Et dans mes songes d’or rêvé plus d’un destin,

Et pourtant j’ai senti mon œil rempli de larmes,

Et toujours je me dis : Le bonheur est plus loin !

Mes mains qu’on croit souvent n’effeuiller que des roses,

Ne savent qu’essuyer les larmes de mes yeux ;

Et mon cœur, éclairé sur le néant des choses,

Ne sait que s’exhaler en soupirs vers les cieux.

 

                  Ô ma Lyre, ta voix sonore

                  Un jour charmait mon cœur.

                  Reviens, reviens encore,

          Sous mes doigts chanter le Seigneur.

                  Bannis de ma jeunesse

                  Ce rêve qui l’oppresse

                  Et trouble mon bonheur.

 

Le bonheur d’ici-bas n’est que dans l’espérance

Qui brille dans le ciel aux regards du chrétien ;

À mon âme, ô mon Dieu, conserve l’innocence ;

Contre l’œil du méchant sois toujours mon soutien ;

Appelle-moi souvent à ce banquet de l’ange

Où dans le pain des forts tu te fais notre appui ;

C’est là le vrai bonheur ; là, par un saint mélange,

L’homme perdu dans Dieu devient Dieu comme lui.

 

                  Ne cesse jamais, ô ma Lyre,

                  Ne cesse de redire

                  Les bienfaits du Seigneur.

                  Bannis de ma jeunesse

                  Ce rêve qui l’oppresse

                  Et trouble mon bonheur.

 

                                                      10 février 1857.

 

 

 

Joseph ROLLIER.

 

Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,

publié par Charles Buet, 1889.

 

 

 

 

 

 

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