L’immortalité de l’âme

 

 

« De ses livides mains quand la mort nous embrasse,

        » Tout en nous est anéanti ;

        » Avec le corps l’âme s’efface,

» Et tout l’homme est rentré d’où l’homme était sorti. »

        L’impie élevait ce blasphème ;

        Nos passions l’ont adopté :

Nos passions ont fait notre incrédulité.

Malheureux ! et comment nous mentir à nous-mêmes ?

    Une secrète voix, accusant ce système,

        Nous dit notre immortalité.

 

Oui, sans cesse exister, oui, respirer sans cesse,

De notre âme immortelle est l’immortel désir :

        Elle s’étend dans l’avenir,

        Et d’une éternelle jeunesse

    Au-delà de la tombe aspire à se saisir.

 

        Et pourquoi de la renommée

        M’agite la soif enflammée ?

D’où me vient cet espoir qui poursuit un grand nom ?

Disciples des neuf sœurs, qui consolez la terre,

Césars qui l’embrasez des fardeaux de la guerre,

Qu’elle est noble la voix de votre ambition !

        Elle raconte, elle proclame

        Les titres augustes d’une âme

Qui déploira son vol sur l’abîme des ans.

        Vous en révélez la nature ;

        L’instinct de sa grandeur future

        Vous élance au-delà du temps.

 

        Quoi ! le grand homme, quoi ! le sage

Qui des arts, sur la terre, allume le flambeau,

Lui qui par des bienfaits y marqua son passage,

S’éteindrait tout entier perdu dans le tombeau !

Il n’en resterait plus qu’une cendre insensible

        À nos regrets, à nos douleurs !

Et, sujets éternels d’un néant invincible,

Nos frères, nos amis n’entendraient point nos pleurs !

 

        Ah ! si de la vertu sublime

        Tel est le prix infructueux,

        Le blasphème n’est plus un crime ;

        L’homme est un être monstrueux.

 

        Dans le tableau de la nature

Le roi de l’univers forme une tache obscure

        Qui déshonore son auteur.

        Justes, souffrez sans espérance ;

Méchants, régnez en paix ; d’un œil d’indifférence

Dieu voit tout : vous vivez étrangers à son cœur.

 

        Non, non, quoi que l’impie atteste,

        Notre âme à ce rayon céleste,

        Hérita de tout autre sort :

        Libre d’une charge grossière,

        C’est d’un vêtement de poussière

        Qu’elle se dégage à la mort.

 

Homme immortel, salut ! jamais ma lyre sainte

        N’osera t’appeler mortel.

        Des cieux en un jour solennel,

Tel qu’un triomphateur, tu dois franchir l’enceinte,

Rayonner de leur gloire en tes regards empreints,

        Et te mêler à l’Éternel.

 

Laisse les imposteurs te nommer un insecte

Qui respire, et bientôt cesse de respirer.

Ils veulent t’avilir ; moi, je viens t’admirer.

Quel univers aussi t’admire et te respecte,

        Noble émanation de la divinité !

De la hauteur des cieux ton âme est descendue ;

        À sa patrie un jour elle sera rendue,

        Échappée aux liens de la mortalité.

Comme alors à tes yeux tout s’agrandit, tout change !

L’univers, aujourd’hui chaos informe, obscur,

Cet univers n’est plus un vaste amas de fange :

Chaque être y prend sa place, et devant toi s’y range,

        Embelli du jour le plus pur.

 

        Ces nuages épais, que de la conjecture

        L’œil hardi ne pouvait percer,

Qui ne te laissaient voir dans l’immense nature

Que des anneaux brisés, épars à l’aventure,

S’écartent : c’en est fait ; tu vas tout embrasser.

Chacun de ces anneaux l’un à l’autre se lie ;

        La chaîne entière est rétablie.

Tu la vois, tu la suis dans son immensité :

Tel qu’un globe parfait le grand tout se rassemble,

Et tous ces points brillants viennent se peindre ensemble

        Au fond de ton œil enchanté.

 

        Quelle douce et pure allégresse,

        Quel ravissement, quelle ivresse,

Quand Dieu t’aura lui-même admis à ses conseils ;

        Lorsque tu béniras, dans ta reconnaissance,

Celui de qui le temps n’a point vu la naissance,

Et dont la main laissa tomber tant de soleils,

        Comme un essai de sa puissance !

 

        Tristes encore et douloureux,

Des horreurs du trépas, des tourments de la vie,

Que ce premier instant, dans notre âme ravie,

Versera de transports vifs et délicieux !

Eh ! pourrons-nous suffire à tant de jouissance ?

        Tout mon cœur en frémit d’avance.

        Arrête, Dieu trop généreux,

Arrête, l’homme est faible, hélas ! et je chancelle :

Cette extase d’amour où ta bonté m’appelle

        D’avance me rend trop heureux.

 

Qu’elles s’effacent donc ces images hideuses

Qui de la mort ici défigurent les traits :

        Pourquoi ces urnes douloureuses ?

        Pourquoi ces clartés ténébreuses ?

        Renversez-vous, pâles cyprès ;

        Vos voix lugubres et menteuses

        Ont trop prolongé nos regrets.

 

Moi, je veux à la mort consacrer un cantique.

Je bénirai son dard, j’adorerai sa faux,

En triomphe à sa gloire, au milieu des tombeaux,

        J’élève un radieux portique,

        Et je l’anime de ces mots :

         « En vain l’homme, dès qu’il respire,

        » Se sent né pour la royauté ;

» Si l’homme veut régner, il faut que l’homme expire :

» Au-delà de la tombe est placé son empire :

» C’est la mort qui l’enfante à l’immortalité. »

 

 

 

ROUCHER.

 

Recueilli dans Choix de poésies

ou Recueil de morceaux propres à orner la mémoire

et à former le cœur, 1826.

 

 

 

 

 

 

 

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