Nature

 

 

J’errais dans la campagne encore froide et blanche

Où les arbres hautains tendaient leurs pauvres branches,

Minces, déchiquetées, vers le ciel toujours gris

Où déjà voltigeaient quelques oiseaux transis.

 

Et j’allais lentement près du lac, dans la plaine,

Dans les grands bois chantant toujours leur plainte vaine.

Et je marchais, rêvant à mon petit bonheur,

Promenant mon regard par des prés sans couleur.

 

Je voyais les beautés de la douce nature,

Je voyais le ruisseau dont le chantant murmure

Sur ses bords langoureux a bercé tant de cœurs,

De poètes, d’amants, qui venaient là, rêveurs.

 

Ô Nature ! Je t’aime en ta belle jeunesse,

Quand le tiède zéphyr vient, comme une caresse,

Errer sur tes lacs bleus et courber tes roseaux ;

Quand le printemps chéri ramène tes oiseaux.

 

Je t’aime quand l’été, de sa chaleur qui grise

T’enivre, cependant que doucement la brise

Porte dans le ciel pur les chers serments d’amour,

Ivresses d’un seul soir, roses qu’emporte un jour !

 

Je t’aime quand le froid t’a rendue toute rousse,

Quand, emportée toujours par le vent qui te pousse,

Tu t’enfuis à grands pas vers les jours sans soleil,

Où tu t’endormiras, blanche, d’un long sommeil.

 

Je t’aime quand l’hiver à l’haleine glacée

Te couvre d’un manteau de neige immaculée ;

Quand tes oiseaux ont fui ; dans ton silence amer

Où tes peupliers nus relèvent leur front fier.

 

Ô Nature ! Je t’aime ! Oh ! j’aime ta jeunesse,

Ton été, ton automne et ta blanche vieillesse ;

En hiver ta tristesse, en été ton doux feu,

Et je t’adore ô Toi qui l’as créée, Mon Dieu !

 

 

 

Hector de SAINT-DENYS GARNEAU, Œuvres,

édition critique établie par Jacques Brault et Benoît Lacroix,

Presses de l’Université de Montréal, 1971.