La pauvre voyageuse

 

                                  ÉLÉGIE.

 

 

                                      Donnez, riches, l’aumône est sœur de la prière.

                                                                               (VICTOR HUGO.)

 

 

 

Hé ! qui voyage à pied par le vent et la neige ?

          – Une femme ! Dieu la protège !

Son fils la suit à peine, et sur son dos plié,

          On aperçoit dans la bruine

S’agiter et vagir une forme enfantine.

          – Postillon, vite ! on est mouillé !

 

De fatigue épuisée, hélas ! la pauvre mère

          S’assied, murmurant sa prière :

« Pitié, mes bons Messieurs, pitié pour mes enfants ;

          Je suis seule, ils n’ont plus de père,

Il est mort en soldat, leur léguant la misère ;

          Pitié, Messieurs, ils sont mourants. »

 

Sur leurs membres chétifs, sa main maigre et glacée

          Étendit sa mante percée ;

En de lugubres sons leurs soupirs se mêlaient :

          Va ! sur ton cœur réchauffe encore

Ce front pâle et chéri que le froid décolore.

          – Plus vite les essieux roulaient.

 

L’oreille n’entend plus que le givre qui tombe,

          Et le silence de la tombe

Semble se balancer sur les vents orageux ;

          La nuit au ciel, la nuit sur terre,

Déroulant lourdement son voile funéraire,

          Amasse un tourbillon neigeux.

 

Malheur au voyageur perdu dans cette plaine !

          Le bruit coupé de son haleine,

Les sifflements du nord, les élans de son cœur

          Sont l’horloge où sans espérance,

Minute après minute, il calcule en silence

          Le temps d’un siècle de douleur.

 

Pitié pour ces enfants pleurant à fendre l’âme !

          Oh pitié pour la pauvre femme

Que la neige enveloppe ainsi qu’un froid linceul !

          Toi dont la jeunesse lassée

Dort dans cette calèche à la course pressée,

          Au monde, hélas, tu n’es pas seul !

 

Ah ! réchauffe ces mains inertes de faiblesse,

          Ces mains, du pauvre la richesse ;

Pour l’homme et pour ton Dieu fais donc un peu de bien.

          Aux jours de tumulte et de crime,

Sur ton front menacé, la charité sublime

          Viendra planer, ange gardien.

 

Pitié pour ces enfants que la mort environne !

          Crois-moi, la plus belle couronne

Est le groupe joyeux des heureux que l’on fait.

          Sauve cette débile enfance.

L’enfance est un présage heureux, c’est l’espérance,

          L’abandonner est un forfait.....

 

Le matin reparaît, avec un air de fête,

          Des rayons entourent sa tête

Et rougissent, au loin, la neige des coteaux ;

          L’oiseau que le soleil égaie

Saute, vole, gazouille et mange, sur la haie,

          Les fruits qui restent aux rameaux.

 

Tout vit et se ranime, en chantant tout s’éveille,

          Oublieux des maux de la veille.

Et pourtant il en est qui dormiront toujours !

          Voyez..... à l’horizon s’avance

Un prêtre, des enfants ; puis, à quelque distance,

          Les noirs fossoyeurs à pas lourds.

 

Les voyez-vous là-bas, arrêtés dans la plaine ?

          Ils soulèvent, avec grand’peine,

Un bloc confus ; leurs bras vers le ciel sont jetés ;

          Serait-ce un vieillard du village

Qui, surpris cette nuit par le froid et l’orage,

          Aurait péri ? Mais écoutez !

 

À travers le sentier que recouvre la neige

          Paraît le funèbre cortège.

Un hymne retentit, c’est le chant du trépas.

          La cloche tinte et se lamente ;

Sur un brancard trois corps voilés par une mante

          Tenaient entrelacés leurs bras.

 

Et, non loin de la croix, au coin du cimetière,

          Un tertre, à l’heure de prière,

Se couronnait trois fois de ce signe pieux.

          Nul ne vint pleurer sur leur pierre :

La pauvreté n’a pas de parents sur la terre,

          Son Père règne au haut des cieux.

 

 

 

Alexandre de SAINT-JUAN.

 

Paru dans les Annales franc-comtoises en 1864.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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