Chant VII

 

 

                                XXXV-XLII

 

On peut avec raison tenir qu’entre les fleurs

Une rose ici, d’un merveilleux éclat, est reine,

Dont la livrée de lait au lever de l’aurore

S’illumine à midi d’un lustre éblouissant ;

Puis la flamme peu à peu de ce feu rutilant,

Grandit pour s’embraser de la pourpre du soir ;

Un tel prodige est digne de la belle Clicie 1,

Dont la robe varie en suivant le Soleil 2.

 

Une autre plante exquise (la liane-de-saint-Jean 3),

Qui fleurit en cascades, a la réputation

De passer en beauté par son gracieux aspect,

Autant que sa couleur, le vif émail des prés :

Ses tiges sarmenteuses envahissent le massif

Qui de tous côtés ploie sous sa luxuriance,

Ses plus fines ramilles s’enroulent en rubans d’or,

Se nouent et s’entrelacent aux vertes émeraudes.

 

Et toi, fleur admirable, pourrais-je t’oublier 4 ?

Toi dont j’ignore si c’est par l’œuvre de la grâce

Ou bien de la nature que tu peins et retraces

D’une manière saisissante la Passion du Sauveur ;

Fléchie de lourdes grappes sous la treille du jardin

Dont la couleur est d’or et la forme arrondie,

Ta pulpe rafraîchissante et très douce et vermeille,

Montre ainsi par quel sang fut racheté le monde.

 

Son abondant feuillage, qui ressemble beaucoup

À notre lierre commun, déborde et se répand,

Tissant ses coulées vertes de scènes de la Passion

Que l’Auteur de la vie a soufferte pour nous ;

Miracle naturel qui invite l’esprit,

Par l’effet de la grâce qui l’inspire et l’éclaire,

À reconnaître enfin sous les dehors d’une fleur

Les douloureuses Stations du supplice du Seigneur.

 

Semblable à une couronne par l’arc de son dessin,

Elle finit à sa pointe tout hérissée d’Épines ;

En son centre se dresse la Colonne des outrages,

Une image éloquente des Plaies, de la Croix ;

On distingue les trois clous et sa pointe figure

Avec un art cruel la lance impitoyable ;

La fleur, de couleur blanche, est toutefois veinée

D’un rouge blêmissant, rappel du très-saint Sang.

 

C’est un prodige rare, c’est une merveille étrange,

Où l’on voit détaillé un si profond mystère !

Où la foi resplendit au milieu des ténèbres,

La foi qu’en son ingratitude le monde ignore !

Voyez avec quelle grande compassion Dieu traite

L’humanité, que son côté percé enfante,

Il veut que même lorsque celle-ci dédaigne sa grâce,

La nature puisse l’instruire par l’homélie d’une fleur.

 

Mais d’autres fleurs encore, gracieuses et délicates,

Émaillent de mille nuances l’horizon des prairies,

Et l’élégance d’un tel parterre offre à la vue

Un tableau ravissant qui transporte les sens ;

D’innombrables jasmins, d’une couleur rouge vif,

Tapissent murs et toits, recouvrent les fenêtres ;

On les distingue à peine, tellement ils sont petits,

Pourtant ils s’entretissent en labyrinthes pourpres.

 

Quant au radieux lys blanc, qui doucement embaume,

Ses feuilles sont disposées à la manière des nôtres ;

Tandis que certains brillent d’une blancheur éclatante,

D’autres sont diaprés d’une nuance de nacre.

L’amarante immortelle amoureusement rutile,

Il y a des solanées, bien connues parmi nous,

Des fleurs sans nombre enfin, par la prairie immense,

Qui laissent interdit quiconque les avise.

 

 

 

SANTA RITA DURÃO.

 

Recueilli dans La poésie du Brésil, anthologie du XVIe au XXe siècle,

choix, présentation et traduction de Max de Carvalho

en collaboration avec Magali de Carvalho et Françoise Beaucamp,

Éditions Chandeigne, 2012.

 

 

 

 

 

 



1 Dans sa Mythologie comparée avec l’histoire (1802), l’abbé de Tressan nous rapporte comment Clicie, nymphe de l’Océan, fut aimée d’un prince grec qui porta le nom d’Apollon et l’abandonna pour Leucothoé. Le désespoir entraîna Clicie à se laisser mourir de soif et de faim. Les poètes, dit l’abbé, s’emparèrent de cette histoire et publièrent qu’ayant été métamorphosée en héliotrope, Clicie se tourne encore vers le Soleil pour lui reprocher son inconstance.

2 Lope de Vega dans son Arcadie évoque une « rose née de la sueur de Latone, dont on dit qu’au petit jour elle est blanche, rouge à midi et verte le soir », reprenant ainsi une tradition célébrée par les Anciens depuis Ovide jusqu’à Callimaque. Pedro Valderrama dans ses Sermons sur toutes les fêtes de Notre-Dame (1609), voyant plutôt dans la rose – cette « Royne de toutes les autres fleurs » – une figure de la Bienheureuse Vierge Marie – il la proclame « merveilleuse Rose plus que celle que les Poëtes feignirent estre nee de la sueur de Latone, laquelle au matin estoit blanche, à midy vermeille, et au soir verde ».

3 Ligneuse grimpante à fleuraison orange, très commune au Brésil, elle est utilisée lors des fêtes de la Saint-Jean et appelée aussi liane corail, liane de feu ou encore liane d’aurore.

4 La fleur de la passion, ou maracujá, est un thème récurrent dans la poésie brésilienne. Elle inspira à Fagundes Varela une pièce célèbre que les lecteurs de La poésie du Brésil (Éditions Chandeigne, 2012) pourront lire à la page 327 de cette anthologie.

 

 

 

 

 

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