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Bertile


Voici que ma maison est vivante et folâtre,
            Et que Dieu l’aperçoit ;
L’oiseau du paradis, le bonheur, vient s’abattre
            Et chanter sur mon toit.
Hier, dans mon jardin, une fleur est éclose
            Sur le plus frais rosier ;
Hier un bel enfant, autre céleste rose,
            Est né dans mon foyer.

Bonjour, petit enfant, petit roseau qui penches,
            Bonjour, mon diamant ;
Dis, ma Bertile, dis, colombe aux plumes blanches,
            Qui viens du firmament,
Quels dons as-tu reçus de Jésus, de sa mère,
            De l’ange Gabriel,
Qui t’ouvrirent en pleurs, pour t’envoyer sur terre,
            Les portes d’or du ciel ?

Gabriel t’a donné ce qui fait son essence,
            L’angélique douceur ;
Puis, sans doute, il a mis sa robe d’innocence
            À sa petite soeur,
Sa couronne de lis, belle entre les plus belles.
            Oui, pour lui ressembler,
Prends sa robe de lin ; mais ne prends pas ses ailes,
            Tu pourrais t’envoler !

Jésus t’a dit : « À toi la piété, mon ange,
            Oh ! sur terre, aime-moi !
Car je fus un enfant tout chétif dans son lange,
            Fragile comme toi.
Aussi, toujours je veille et couvre de mon aile
            Tous les pauvres petits ;
Et tous les nouveau-nés ont dans leur berceau frêle
            Les clefs du paradis.

« Oh ! tu n’auras pas, toi, ma crèche et mon empire !
            Nul mage ne viendra
T’apporter d’Orient l’or, l’encens et la myrrhe ;
            On ne te donnera
Que des baisers ; mais, va, l’or et la perle fine,
            Qui pourraient te peser,
Au front d’un nouveau-né ne vont pas, ma divine,
            Aussi bien qu’un baiser. »

Et la Vierge t’a dit : « Sois pure, sois limpide,
            Du front jusques au coeur.
Mais vois-tu, mon enfant, savoir qu’on est candide,
            C’est perdre sa candeur ;
Aussi tu seras pure, ô ma douce colombe,
            Sans t’en apercevoir :
Le lis de la vallée et la neige qui tombe
            Sont blancs sans le savoir. »

Si j’avais été là, dans le ciel de lumière
            D’où l’enfant descendit,
Moi, j’aurais fait un voeu profane, un voeu de mère;
            Tout haut, j’aurais bien dit :
Vierge, vous êtes sainte, oh ! mettez-lui dans l’âme
            Candeur et pureté !
Mais j’aurais dit tout bas : Vierge, vous êtes femme,
            Donnez-lui la beauté !

Merci, vous m’exaucez, ma fille est déjà belle !
            Je l’admire et j’attends.
Tout germe, tout sourit, et tout est frais en elle
            Et couleur du printemps.

Bouche en fleur, peau de soie, à la teinte vermeille,
            Longs yeux noirs et jolis,
Tout est dans ce berceau : n’est-ce pas la corbeille
            Où fleurit mon beau lis !



Anaïs SÉGALAS, Enfantines, poésies à ma fille, 1844.

 

 

 

 

 

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