Le préféré

 

 

Quand sainte Élisabeth, la reine de Hongrie,

Voulait verser son cœur, son cœur tout plein de Dieu,

Traversant son palais d’or et de pierrerie

Elle éblouissait tout de la fraîche féerie

De sa jeune âme en fleur et de son regard bleu.

 

Et les beaux courtisans postés sur son passage,

Les margraves, les ducs, les écuyers du roi,

Courbant leurs fronts plus bas que n’exigeait l’usage,

Émus sous les rayons du fier et doux visage,

Songeaient, rêveurs : « Peut-être en est-il un pour moi. »

 

Et chacun se croyant le plus beau, le plus brave,

Disait : « Voici ma reine ! » en son cœur anxieux.

Sur quel front de seigneur, de page ou de margrave,

Va s’abattre le vol de son sceptre suave,

Et va tomber la foudre aimante de ses yeux ?

 

Mais elle, de sa cour sortait, simple et charmante,

Et, seule, délaissant la pourpre et la splendeur,

Allant par le chemin comme une humble servante,

Montait chez le lépreux, et là, divine amante,

Au sein du misérable elle versait son cœur.

 

Car la sainte avait lu dans la vieille Écriture :

« Tout ce que vous ferez au pauvre avec amour,

Au Christ vous le ferez. » C’est pourquoi, belle et pure,

La Reine se penchait sur cette pourriture.

 

Et le lépreux stupide était aveugle et sourd !

 

 

 

Joseph SERRE.

 

Paru dans L’Année poétique en 1906.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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