Das Ewige Weiblich

 

 

Ils commencent à m’aimer, les diables marins,

Rôdant derrière moi, suivant mes traces.

Sur le rivage finnois, ils m’attrapaient naguère.

Suis-je dans l’Archipel ? Les y voilà !

 

Il est clair que ces diables en veulent à ma vie,

Comme il sied d’ailleurs aux diables de leur espèce.

Diables, que Dieu soit avec vous ! Pourtant, croyez-moi,

Je ne me donne pas ainsi pour être dévoré.

 

Bien mieux, écoutez la parole !

C’est une bonne parole que je vous ai réservée.

Diables menus, il ne dépend que de vous

De redevenir bétail du bon Dieu.

 

Vous souvient-il comment, sur les bords de cette même mer,

Là où se dressaient Amophunt et Paphos,

Il vous est arrivé autrefois de subir

Le premier malheur imprévu de votre vie ?

 

– Vous rappelez-vous les roses sur l’écume blanche,

Le reflet purpurin sur les flots d’azur ?

Vous rappelez-vous l’image de ce beau corps,

Votre désarroi, votre frisson, votre peur ?

 

Cette beauté-là et sa force première

Ne vous firent pas trembler longtemps, ô diables !

Elle apprivoisa un instant la fureur sauvage,

Mais n’a point su la subjuguer.

 

Mais, au sein de cette beauté, ô diables sournois !

Vous avez vite trouvé votre chemin secret,

Semant dans cette éclatante image

La semence infernale de corruption et de mort.

 

Sachez-le, l’éternel féminin vient aujourd’hui sur terre

Sous les espèces d’un corps impérissable.

Dans la lumière de la déesse nouvelle, qui jamais ne s’éteint,

Se sont mêlés le ciel et le gouffre des eaux.

 

Tout ce qui fait la beauté d’Aphrodite terrestre,

Joie des maisons, des bois et des mers,

Par la beauté qui n’est pas d’ici-bas, sera mélangé,

Plus purement, plus puissamment, plus vivement, plus pleinement.

 

Ne cherchez pas en vain d’accéder jusqu’à elle.

Diables intelligents, pourquoi tant de bruit ?

Vous ne saurez ni écarter, ni retarder

Ce qu’attend la nature en languissant.

 

Diables orgueilleux, vous êtes malgré tout des hommes.

Ce n’est pas fort pour un homme de se quereller avec une femme !

Eh bien ! mes diables, c’est une raison.

Pour ne pas tarder : rendez-vous !

 

 

 

Vladimir SOLOVIEV.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie russe

du XVIIIe siècle à nos jours, par Jacques Robert

et Emmanuel Rais, Bordas, 1947.

 

 

 

 

 

 

 

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