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Noël

 

 

par

 

 

Hector de SAINT-DENYS-GARNEAU

 

 

 

 

Une belle fée blanche a passé sur le monde en effeuillant des roses blanches. Tout s'est couvert de blancheur. Les fronts lourds et tristes ont dit que c'est un linceul ; les jeunes coeurs aux purs élans ont cru que c'est un voile d'innocence. Car la fée blanche avec ses roses a effeuillé des rêves, blancs comme elle et suaves. Et les enfants blonds ont dit leurs rêves et les vieillards ont, de leur voix chevrotante, approuvé ce que disaient les enfants ; et les fronts lourds et tristes ont cru les rêves des enfants confirmés par la sagesse des vieillards : car une étoile de lumière a lui sur tous les fronts, et les tempêtes se sont apaisées.

L'hiver avait engivré la plaine, la plaine longue indéfiniment, la nuit limpide étendait sur cela, non pas une ombre, mais une absence de rayon, et tout dormait dans l'atmosphère pure et froide comme le cristal. Seul le ciel demeurait lumineux d'étoiles.

Sur le chemin gris, à travers les champs, une femme marchait en rêvant près d'un homme qui la soutenait avec amour. Ils allaient, ils allaient ainsi, péniblement, frissonnant dans la froideur cruelle de la bise, ils allaient par la monotonie de la plaine. Leurs yeux regardant le ciel rayonnaient d'un espoir indicible. Ils allaient tous deux rêveurs, tous deux tremblants, par la monotonie glacée de la plaine.

Dans une étable abandonnée, ils s'arrêtèrent. Là, la femme vierge mit au monde un enfant blond qui sourit à ces deux êtres las.

Alors arrivèrent les bergers aux yeux candides, les jeunes enfants des montagnes. Parmi le recueillement silencieux de la nuit, la voix suave d'un ange avait dit aux gardeurs de moutons : « Venez ! dans une étable obscure vous trouverez Jésus, le Messie, et vous l'adorerez. » Les gardiens de moutons avaient suivi la voix des anges et poussant devant eux quelques moutons bêlants, ils arrivaient. Saisis au coeur d'une allégresse inconnue, les candides bergers se sont agenouillés et ils ont pleuré, comme des enfants qu'ils étaient, des larmes douces. Car ils sentaient en eux un bonheur qu'ils ne comprenaient pas et parce que leurs coeurs purs n'avaient pas de place dans leurs poitrines robustes. Le sable du chemin grinçait comme du sucre sous les pas allongés des chameaux. Dans le ciel irradié, parmi les nuits longues, une étoile avait lui sur le monde endormi, une étoile aux rayons puissants et doux tout à la fois. Et de grands vieillards de lointains pays avaient suivi l'étoile immense. Chargés d'or, de pierres précieuses, de bijoux, d'encens et de myrrhe, ils s'avancèrent, les grands vieillards courbés, aux vénérables barbes blanches, aux yeux éteints, ils s'avancèrent et se prosternèrent devant l'enfant blond reposant dans la crèche. Ils offrirent les trésors qu'ils portaient, et demeurèrent agenouillés, leurs fronts ceints de couronnes, penchés dans la poussière. Et de leurs yeux coulèrent dans les sillons déjà tracés des larmes de soulagement telles qu'ils n'en avaient jamais pleurées, des larmes d'espérance.

Et les bergers sentaient merveilleusement dans l'extase de leurs coeurs que là est la Bonté, là la Beauté, et que maintenant ils pourraient vivre.

Et les Mages pensaient que vraiment c'est là qu'est la Vérité et que maintenant ils pourraient mourir.

Ainsi les bergers aux regards limpides et purs comme leurs coeurs, les bergers vêtus de peaux de bête étaient à genoux et pleuraient à côté des rois savants et riches, aux regards fatigués et mourants comme leurs coeurs, à côté des rois vêtus de soie et couverts d'or. Rois et bergers dans la même étable pleuraient de bonheur et adoraient l'enfant blond qui venait de naître et que regardaient avec une tendresse surhumaine la vierge aux yeux d'azur profond et l'homme respectueux.

C'est que sur tous les fronts l'étoile magique a lui, illuminant d'amour et de confiance tous les coeurs.

La fée blanche a passé, effeuillant ses roses et ses rêves... ses rêves blancs comme des roses. Les bébés blonds rêvent le soir au bon petit Jésus dans sa crèche. Et tout le monde attend le grand mystère qui fait s'unir les rois et les mendiants, les purs et les souillés, les jeunes et les vieux, à genoux dans la même poussière, guidés par la même étoile vers le même enfant blond. Laus Deo Semper.

 

Hector de SAINT-DENYS-GARNEAU.

 

 

 

 

 

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