Hymne IIIe

 

 

Allons, mon âme, chante des hymnes sacrés ; apaise les convoitises de la chair, presse l’essor rapide de l’intelligence.

Tressons au roi des dieux une couronne, victime non sanglante, offrons-lui nos cantiques.

C’est toi que je chante en pleine mer, dans les îles, sur le continent, au sein des cités, au sommet des monts et dans les pays.

Ô roi, la nuit me mène vers toi et je chante, chaque jour, le matin et le soir, je redis tes louanges.

J’ai pour témoins les yeux des astres étincelants et ce grand soleil, gardien des chastes étoiles, arbitre saint des pieuses âmes.

La pesante matière veut me retenir ; je délie mes ailes ; je m’envoie dans tes tabernacles et dans ton cœur.

Heureux d’atteindre ton vestibule sacré, je vais prier dans tes temples, à l’heure des saints mystères, tantôt sur le sommet des monts, tantôt dans les vallées immenses de la Lybie déserte, plage aimée du soleil, où nul souffle impie n’apporte ses souillures, où nul homme adonné au commerce des cités ne laissa jamais la trace de ses pas.

Là, mon âme, sans passions, sans désirs, sans peines, sans chagrins, sans courroux, sans luttes, vices pernicieux qu’elle a repoussés loin d’elle, fait monter vers toi sa voix innocente et sa pensée pieuse, t’adressant un juste tribut de louanges.

Cieux et terre, gardez un religieux silence ! restez en paix ! Océans, souffles des aires, restez en paix ! Tourbillons impétueux des vents, calmez-vous ! Calmez-vous, vagues des fleuves, qui bondissez, et vous, fontaines jaillissantes.

Cavernes du monde, silence, durant le sacrifice de mes hymnes sacrés.

Disparais sous terre, tortueux serpent ; sous terre disparais aussi, dragon ailé, dieu de la matière, ténèbres de l’âme, ami des idoles, qui troubles nos prières par tes hurlements.

Ô Père, ô béatitude, des chiens ravisseurs des âmes garde mon intelligence, mes prières, ma vie et mes œuvres.

Que tes premiers ministres, messagers pieux des hymnes saints, prennent soin de l’hommage de mon cœur.

Déjà je touche au sanctuaire des hymnes sacrées ; un oracle se fait entendre à mon âme.

Béatitude ! pitié pour moi ! Père, sans la pureté et la décence requise, j’ai pénétré dans ton domaine.

Quel regard assez sûr, quel œil assez perçant contemplera tes splendeurs sans être ébloui ?

Les immortels eux-mêmes ne peuvent, l’œil fixe, supporter l’éclat de ton visage ; mais l’esprit descend des hauteurs de ton éternité, se complaît dans ce qui t’environne, cherche à pénétrer tes mystères insondables, à saisir la lumière éclatante dans ton immense profondeur, et, laissant ce qu’il ne peut atteindre, pose un œil assuré sur tes œuvres les plus magnifiques, compose tes louanges des fleurs de ta clarté, impose silence aux vents impétueux, pour te rendre ce qui t’appartient.

Quelle chose ne t’appartient donc pas, ô toi, père des pères, père de ton existence, père avant toutes choses, père sans père, fils de toi-même, unité avant l’unité, semence des êtres, centre de tout, âme éternelle et sans substance, principe des mondes, lumière répandue dès le commencement sur toutes choses, vérité et sagesse, esprit voilé dans tes propres splendeurs, œil de ton front, maître du tonnerre, père des temps, vie des siècles, Dieu plus grand que les dieux, intelligence plus grande que les intelligences, esprit plus élevé que les esprits, créateur des esprits, créateur des dieux, créateur des intelligences, nourriture des âmes, source des sources, principe des principes, fondement des fondements, unité des unités, nombre des nombres, nombre et unité, intelligence, être intelligent, être intelligible, un et tout, un en tout, un avant tout, semence de tout, racine et bourgeon, nature parmi les intelligences mâle et femelle ?

Initiée à ces ineffables mystères, qu’elle contemple, l’âme ne peut bégayer que ces quelques paroles.

Tu enfantes, tu es enfanté, tu illumines, tu parais, tu es caché, lumière voilée dans tes propres splendeurs.

Tu es un et universel ; un en toi seul, un en toutes choses.

Ô Père, tu t’es répandu d’une manière ineffable pour engendrer ton Fils, divine sagesse, sagesse créatrice du monde, et, répandu, restes indivisible dans sa génération.

Ô unité, c’est toi que j’exalte, c’est toi que j’exalte, à Trinité. Tu es unité et trinité, trinité et unité.

La division spirituelle garde toujours indivisible ce qu’elle a divisé.

Une sagesse consommée t’a répandu sur le Fils, et cette sagesse, nature intermédiaire, nature ineffable, est au-dessus de toute nature.

On ne peut dire qu’un second soit venu de toi, un troisième du premier.

Enfantement sacré, inénarrable génération, tu es le terme de la nature qui enfante et de la nature enfantée.

J’adore le secret des volontés divines dont les ressources sont inconnues au dehors.

Fils ineffable d’un ineffable père, engendré pour toi-même, et venu au jour par la génération, tu as apparu avec le Père, par la sagesse du Père, et par toi, ô sagesse, la sagesse réside dans le Père.

Les temps les plus reculés n’ont point vu ta naissance admirable et les siècles antiques n’ont pas connu l’enfantement que le temps n’a point opéré.

Toujours on vit avec le Père le Fils né, qui devait naître.

Qui donc excite la témérité des hommes ? Quelle voix dira ces merveilles ? L’entreprendre, n’est-ce pas une audace criminelle ?

Toi seul donnes la lumière, la lumière de l’intelligence, et détournes des tortueux sentiers de l’erreur le cœur des hommes justes, pour qu’ils ne tombent pas dans les ténèbres extérieures.

Père des mondes, Père des siècles, créateur des immortels, il est juste de chanter tes louanges.

Ô roi, c’est toi que les intelligences célèbrent ; c’est toi, ô Béatitude, que célèbrent les gouverneurs des mondes, aux yeux étincelants, intelligences célestes, autour desquelles marche l’œuvre admirable de la création.

C’est toi qu’exaltent en leurs cantiques les chœurs de tous les bienheureux, qui, autour des mondes, dans les zones, hors les zones, ministres remplis de sagesse, pilotes glorieux venus des troupes angéliques, dirigent tout l’univers, toi qu’exalte la glorieuse race des héros qui, par des voies inconnues, parcourent les œuvres mortelles des mortels ; toi qu’exalte l’âme qui s’élève au ciel et l’âme qui se penche vers les noires ténèbres de la terre, toi qu’exaltent la nature et les merveilles de la nature, ô Béatitude, dont le souffle vital, qui s’élance et bondit par des voies divines, conserve toutes choses !

Tu es le gouverneur des mondes célestes, la nature des natures, et c’est toi qui fécondes la nature, où la mort trouve sa naissance, et l’immortalité son image, afin que les limites les plus reculées de l’univers aient leur part de cette vie qui va d’un être à l’autre.

La lie du monde pouvait-elle être au sommet de la création ? Non, l’ordre établi dans le chœur des êtres ne doit pas cesser, et, par un merveilleux enchaînement, chaque chose doit tour à tour jouir l’une de l’autre.

Ranimé par ton souffle, l’orbe éternel, ô mère nature, fait monter vers toi les hymnes de tous les êtres que tu embellis de tes couleurs, que tu pares de tes ornements.

Entends-tu ? Les diverses voix de tous les êtres vivants t’adressent un concert de perpétuelles louanges. Sans cesse proclament tes louanges le jour et la nuit, les tonnerres, les neiges, les cieux, l’éther, les bases de la terre, l’eau, l’air, tout corps, tout esprit, les semences, les fruits, les plantes et les gazons, les racines, les herbes, les troupeaux des campagnes et les oiseaux du ciel, ainsi que la famille des poissons.

Ah ! regarde cette âme qui languit et se meurt dans ta Lybie ; dans les solennités saintes, elle t’adresse ses prières, pauvre âme, que les ténèbres de la matière environnent de toutes parts.

Mais ton œil, ^p Père, ne voit-il pas au travers de la matière. ? Maintenant mon cœur, tout pénétré par les chants que je t’adresse, remplit mon intelligence d’un feu sacré.

Ô roi, illumine donc mes yeux ! qu’ils regardent au ciel ! Ô Père, que mon âme, délivrée de son corps, ne retombe plus jamais sous l’empire de la matière.

Mais tant que je serai retenu par les liens de ma vie corporelle, ô Dieu, qu’une fortune médiocre soit mon partage, que le vent du malheur ne souffle pas sur moi, qu’il ne livre pas mon existence à l’inquiétude, afin que je m’adonne toujours au commerce des choses saintes, que je ne retombe plus dans cette fange d’où je suis sorti par ta miséricorde, pour t’offrir cette couronne de fleurs des prairies mystiques et t’adresser mes louanges, ô prince des mondes sans tache, ainsi qu’à ton Fils, sage par ta sagesse et sorti de ton sein d’une manière ineffable.

Il demeure en toi, et de là, au souffle de sa sagesse, il dirige toutes choses, gouverne la longue série des âges, et règle la marche de l’immense univers, pénétrant jusques dans l’intime des êtres qui sont sur la terre.

Lumière des âmes pieuses, il soulage les pauvres mortels et de leurs infortunes et de leurs afflictions ; car il est l’auteur de tout bien, le remède à tout mal.

Est-il étonnant que Dieu, créateur du monde, préserve des désastres l’ouvrage de ses mains ?

Ô maître du vaste univers, je viens te rendre le vœu que je t’offris en Thrace, où j’ai vécu trois ans dans la demeure des rois de la terre, où j’ai enduré tant de fatigues, où j’ai tant souffert et pleuré, au souvenir de la mère-patrie.

La terre, je l’arrosais de la sueur de mes membres, dans mes concerts de chaque jour.

Ma couche, chaque nuit je l’inondais des larmes qui coulaient de mes yeux.

Les temples bâtis pour ton culte sacré, je les ai tous visités.

Agenouillé, suppliant, je baignais le sol des pleurs de mes paupières, et, pour que mon voyage ne fût pas inutile, je conjurais les esprits bienheureux qui veillent sur les campagnes fécondes de la Thrace et gardent, du côté opposé, les plaines de Chalcédoine, ministres sacrés de ta puissance, que tu as couronnés des gloires angéliques.

Ils ont écouté ma voix ; ils m’ont secouru ; ils ont dissipé mes maux.

En ce temps-là, la vie ne m’offrait pas de charmes, car ma patrie était opprimée ; mais tu as mis un terme à son deuil, ô toi, qui ignores la vieillesse, à Maître du monde.

Tandis que mon âme se mourait, que mes membres étaient sans vie, tu as rendu leur vigueur à ceux-ci, à celle-là une force nouvelle dans son infortune, mettant ainsi, selon mes désirs, un heureux terme à mes souffrances, et m’accordant le repos après de longues souffrances, et m’accordant le repos après de longues souffrances.

Ne laisse pas tarir la source de tes faveurs pour les fils de la Lybie, parce que j’ai gardé souvenance de tes bienfaits, parce que mon âme a souffert de longues tribulations.

 

 

SYNÉSIUS.

 

Traduction de Pascal Darbins.

 

Paru dans La France littéraire,

artistique, scientifique en 1859.

 

 

 

 

 

 

 

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