Le temps

 

 

Oh ! pourquoi de ce temps, l’étoffe de la vie,

Ne pouvons-nous, dis-moi, jouir à notre envie,

        Sans le déchirer par lambeau ?

Des trois formes qu’emprunte une essence commune,

Passé, présent, futur, l’homme n’en connaît qu’une

        Du sein maternel au tombeau.

 

Des uns, toute la vie est dans l’instant qui passe ;

Cœurs étroits, où jamais ne saurait trouver place

        Ce qui fut, ou n’est pas encor ;

Perdant toute leur pourpre en mesquines parcelles.

        Tout leur foyer en étincelles,

        En oboles tout leur trésor !

 

Avides du lointain où leur regard se plonge,

Ceux-ci laissent glisser les heures comme un songe

        Qui s’efface du souvenir ;

Leur présent incomplet n’est qu’une longue aurore,

Que ne suit pas le jour, que l’attente dévore ;

        Ils existent dans l’avenir.

 

J’en sais d’autres, pour qui les biens perdus renaissent,

Et qui même, entre tous, n’aiment et ne connaissent

        Que l’objet qu’ils ont dépassé :

L’avenir les effraie et le présent leur coûte,

        Tandis qu’ils poursuivent leur route

        Les yeux tournés vers le passé.

 

Mais n’est-il pas, doués d’existences complètes,

Du monde intérieur quelques rares athlètes,

        Au long regard, au vaste cœur,

Qui goûtent en entier la vie à chaque haleine,

        Et savourent la coupe pleine

        Dans chaque goutte de liqueur ?

 

Pour ceux-là rien ne meurt, ni plaisir, ni souffrance ;

Tout vit, tout est réel, tout, même l’espérance !

        Ainsi, sous une habile main,

La trinité du son vibre mystérieuse,

Ainsi dans aujourd’hui leur âme harmonieuse

        Sent vibrer hier et demain.

 

 

Amable TASTU.

 

Recueilli dans Femmes-poètes de la France,

anthologie par H. Blanvalet, 1856.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net