<> <> <> <> <>

 

 

La dernière chanson de Peau d’Âne


Fragment



Cette chanson est extraite d’un long poème, Peau d’Âne, qui est une fort curieuse transposition du mythe de Perrault. La princesse y figure « la vagabonde pensée » souillée par l’attouchement des mains impures. Elle exhorte les rois, les prophètes et les penseurs à échapper au plat matérialisme de leur siècle et à s’unir pour une défense héroïque des valeurs spirituelles. (Jeanne Moulin, La Poésie féminine, Seghers, 1966.)




Dès qu’au loin, d’un coursier hors d’haleine,
Le galop sourdement bat la plaine,
Si la foule où fermente l’ennui
Tient l’oreille à l’arène collée
Et demande, en tumulte assemblée :
               Est-ce lui ?...

Si le vent du midi rompt ses chaînes
Et des bois fait plier les hauts chênes,
Comme aux champs les buissons de jasmins ;
S’il mugit sous l’ombreuse clairière,
S’il balaie, en sifflant, la poussière
               Des chemins !...

Si du ciel s’éclaircit le bleu sombre,
Si bientôt son haleine dans l’ombre
Est plus fraîche et son front plus serein,
Si nous luit cette frange dorée
Que suspend à sa robe éthérée
               L’orient !

Sur le front de la foule éperdue
Nous lisons la nouvelle attendue
Des combats les hasards sont prédits.
Le vent dit : « L’orage est prêt à naître » ;
L’aube dit : « Le soleil va paraître » ;
               Moi je dis :

« Hâte-toi, messager de victoire,
Hâte-toi, j’ai besoin de te croire ;
Levez-vous, ouragans redoutés ;
Et, vainqueur des ténèbres obscures,
Toi, soleil, viens nous rendre plus pures,
               Tes clartés !...

Car j’entends des confins de la terre
Accourir comme un bruit sourd de guerre.
J’ai compris les menaces du vent ;
Je vois l’homme, attendant la lumière,
Contempler d’une avide paupière
               Le levant !

... Où sont-ils aujourd’hui vos prophètes,
Rois puissants ou sublimes poètes ?
– Ils sont morts ! – Vos beaux-arts, doux trésors,
Où sont-ils ? – Ils sont morts ! Ces génies
Ont leur temps : sur leurs tâches finies,
               Ils sont morts !

... Si ma voix pouvait être entendue !...
Mais, hélas ! d’une plainte perdue,
Nulle oreille aujourd’hui ne s’émeut !
Oh ! qui donc me rendra ma couronne,
Pour un jour leur crier de mon trône :
               Dieu le veut ! »



Amable TASTU, Poésies nouvelles, 1835.

 

 

 

 

 

Accueil Index général Narrations Méditations Études
Auteurs Livres Pensées et extraits Thèmes