La Passion

 

FRAGMENT

 

 

... Paix ! Fils de l’homme, voici l’heure

Où, vendu pour quelques deniers,

Pas un ami ne te demeure :

Les plus chers ont fui les premiers !

Quand ceux qui nous aiment trahissent,

Que feront ceux qui nous haïssent ?

Des cris de mort qu’ils ont poussés

Mon juge se fait le complice !...

L’abandon, l’oubli, l’injustice !...

C’est assez, mon Dieu, c’est assez !

 

Devant moi s’ils courbent la tête,

Leur feint respect est un affront :

De la couronne qu’ils m’ont faite,

L’épine ensanglante mon front ;

Mon sceptre est un sceptre illusoire,

C’est une pourpre dérisoire

Qui couvre mes membres blessés ;

Que cette royale ironie,

Plaise à vous, soit bientôt finie !...

C’est assez, mon Dieu, c’est assez !

 

Seigneur, jusqu’au lieu de torture,

Faut-il encor traîner sa croix ?

Elle est trop pesante et trop dure,

Mou corps succombe sous le poids.

Hélas ! nulle main charitable

Aux plis du voile secourable

Ne garde mes traits effacés ;

Grâce, au moins, du calvaire infâme !

La honte est de trop pour mon âme :

C’est assez, mon Dieu, c’est assez !

 

Mais déjà ma lèvre altérée

A bu le vinaigre et le fiel ;

La lumière s’est retirée

Quand mes yeux ont cherché le ciel ;

Au sort, mes vêtements se tirent ;

Des clous aigus qui les déchirent

Mes pieds et mes mains sont percés ;

Du coup de lance mon flanc saigne ;

Que faut-il encor que je craigne ?...

C’est assez, mon Dieu, c’est assez !

 

 

 

Amable TASTU, Poésies nouvelles, 1835.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net