Les moucherons
Vers l’horizon le jour s’éteint :
sous un vieil arbre du jardin
des moucherons valse l’essaim.
Frêles corps qu’un zéphyr bouscule !
Sur eux la nuit tourne en silence,
auprès du même étang ils dansent,
et chaque année ils reviendront.
Vains élans vers l’azur profond !
Sur les forêts au crépuscule
mille astres s’allument et brûlent.
Des parfums planent sur les champs.
Les heures passent une à une.
Inattentifs au clair de lune
toute la nuit ils valseront
montant, descendant, se croisant.
Dans les prés chantent les grillons.
Par delà les murs du jardin
le couchant les invite en vain
à s’enfuir vers les monts lointains.
Ils choiront là sur le gazon.
Demain, dès le soleil levant,
d’autres groupes tourbillonnants
oublieront lestement le deuil.
Des fleurs naîtront sur les tilleuls.
Sur les forêts préhistoriques
les moucherons traçaient déjà
leurs figures chorégraphiques.
Nul homme ne les dérangea.
Un jour sur nos océans morts
et clos par les mêmes décors
s’engloutiront les derniers corps.
Les moucherons viendront encor.
Ils ignorent quand commença
le bal qu’un soir imagina
un ancêtre obscur de leur race.
Leurs descendants prendront leur place.
Ils le continuent aujourd’hui
sans prévoir l’incertaine nuit
où s’éteindra la fête folle.
Ainsi se rue et farandole
la horde des vivants frivoles !
*
* *
Traversons leur démente ronde
et désignons d’un doigt troublant
sur l’horizon lointain des temps
le terme qu’éternellement
Dieu fixe au lourd essaim des mondes !
Jean-Paul TERSANNE.
Paru dans Les Causeries en 1927.