Marée montante

 

 

                                    I

 

Le soleil s’est voilé ; la mer, sous des cieux lourds,

Monte et frappe ses bords de coups rythmés et sourds ;

L’horizon s’obscurcit ; un souffle chaud soulève

En jaunes tourbillons les sables de la grève.

Comme de blancs coursiers laissant flotter au vent

Dans un libre galop leurs crinières d’argent,

Les flots pressés au loin se couronnent d’écume ;

Des ombres de vaisseaux s’effacent dans la brume

Et les blancs goélands autour des noirs récifs

Dans la clameur des eaux jettent leurs cris plaintifs.

 

Au farouche Océan la douleur est semblable :

Elle a son flot montant et sa force indomptable,

Elle a sa profondeur et son immensité ;

À ses bords désolés la triste humanité

S’attache vainement et contemple, éperdue,

Les débris emportés sur la morne étendue.

Montant des profondeurs de l’être, les sanglots

Se succèdent sans fin, comme les flots aux flots,

Et, par les cœurs meurtris sans cesse repoussée,

Toujours, toujours revient la funèbre pensée.

 

 

                                    II

 

Mes frères, matelots qui sur les flots mouvants

Confiez votre sort au caprice des vents,

Dites, où puisez-vous cette force inconnue,

Quand la mer en courroux soulève vers la nue

Comme un frêle hochet vos mobiles prisons ?

– Peut-être, par delà les lointains horizons,

Peut-être voyez-vous, comme dans un doux rêve,

Sur la côte de France une paisible grève,

Où, reflétant l’azur, la vague mollement

Meurt sur des sables d’or avec un bruit charmant.

Là, propice aux vaisseaux, la rude hospitalière

Étreint l’onde immobile entre ses bras de pierre ;

Là, le clocher natal se dresse vers les cieux

Au milieu des tombeaux où dorment les aïeux,

Et dans l’or des ajoncs la brise parfumée

Du foyer paternel disperse la fumée,

Tandis que sur le seuil la mère aux cheveux blancs

Ferme ses yeux ternis et rêve aux fils absents.

 

 

                                    III

 

Au jour de ton courroux, quand l’homme, hôte éphémère

Du Paradis perdu, fut exilé sur terre,

Tu le fis, Dieu vengeur, assez fort pour souffrir

Les tourments de la mort, sans cependant mourir.

Depuis ce jour le spectre aux yeux caves promène

L’inexorable faux dans la moisson humaine

Et de nos cœurs brisés arrache des lambeaux ;

Les sentiers des vivants sont semés de tombeaux.

Mais du moins, Dieu clément, sur la détresse immense,

As-tu laissé planer le vol de l’espérance.

Ô vous qui du passé faites votre avenir,

Pauvres abandonnés vivant d’un souvenir,

Non, non, vous n’êtes pas une épave en dérive

Que ballotte sans but un océan sans rive ;

Oh ! ne tarissez pas la source de vos pleurs,

Ne cherchez pas l’oubli de vos saintes douleurs ;

Mais, comme les marins observent les étoiles

Pour guider vers le port la fuite de leurs voiles,

Si la terre vous manque, interrogez les cieux.

Versez-leur votre paix, astres silencieux,

Regards de Dieu sur nous ; que vos clartés lointaines

Dirigent leurs vaisseaux vers les plages sereines

D’où ceux qu’ils ont perdus les appellent tout bas

Et les suivent des yeux en leur tendant les bras...

 

 

 

Henry THÉDENAT.

 

 

 

 

 

 

 

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