Ballade du paradis

 

 

Ô mon Jésus, notre amoureux,

Tu nous as ravi notre cœur.

 

Or donc oyez cette ballade,

Qui par Amour fut inventée.

En sera votre âme éperdue,

Si elle s’entend à l’amour.

 

Or oyez tous cette nouvelle,

Que dirai de vie éternelle ;

Une laude tellement belle,

Toute remplie de pur amour.

 

Une ronde se fait au ciel

De tous les Saints, en ce jardin

Où réside l’Amour divin

Qui l’enflamme de son amour.

 

Dans la ronde viennent les Saints,

Pendant que les Anges, tous tant

Que sont, ornés de perles fines,

Tous vont dansant par pur amour.

 

Dans la cour est une allégresse

D’un amour sans nulle mesure ;

Tous vont à une même danse,

Pour l’amour de notre Sauveur.

 

Sont revêtus de drap vergé,

Blanc et rouge et entremêlé,

De guirlandes le chef orné,

Bien me paraissent amoureux.

 

Ont tous le visage très beau,

Semblent légers comme oiseau

Et chantent tous devant l’Agneau

Toute chose par pur amour.

 

Tous tant que sont portent guirlandes,

Semblent jeunes gens de trente ans

Dans la ronde s’est transformée

Toute chose par pur amour.

 

Les guirlandes sont tout fleuries,

Plus que l’or sont étincelantes,

Ornées de mille perles fines,

Et différentes de couleur.

 

Le Prophète fait le jongleur,

Douce musique sait sonner ;

Semble que fasse s’endormir,

Tant semblent doux les airs qu’il sonne.

 

Saint Jean qu’on nomme le Baptiste

Et près de lui l’Évangéliste

Sont en tête et mènent la danse,

Tous deux en sont les conducteurs.

 

Tous deux, l’un et l’autre saint Jean

Sont vêtus d’ornements nouveaux,

Ont guirlandes belles et grandes

Toute chose par pur amour.

 

En ce chœur rempli d’allégresse,

Paul et Pierre sont à danser ;

Tous deux en même concordance,

Toute chose par pur amour.

 

Si vous voyiez ce bon saint Pierre,

Qui semblait telle antiquité,

Il est tellement rajeuni

Que paraît être un tout jeune homme.

 

Saint Paul, qui est si amoureux,

Dans la ronde s’en va joyeux ;

Le monde entier a mis en feu,

Tant il était rempli d’ardeur.

 

Dans le ballet est saint Laurent,

Et saint Étienne et saint Vincent,

Pour le martyre et grand tourment

Que subirent pour leur Seigneur.

 

L’ordre des martyrs est très beau,

Sont tous vêtus de vermillon,

Et se tiennent devant l’Agneau

Qui mourut pour l’amour de nous.

 

Dans la ronde va saint François,

Qui porte le signe du Christ ;

Crucifié à lui apparut,

Qui l’enflamma de sa douleur.

 

Dans la ronde va saint Bernard,

Avec lui va si bien au bal,

Le très amoureux saint Ubald,

Parce que dansent par amour.

 

Les apôtres, en ce Convent,

À Jésus-Christ font entourage,

Parce qu’à leur commencement

Les enflamma du saint Amour.

 

Les Prophètes et Patriarches,

Tous ensemble vont à la danse ;

Ne se peut rencontrer plus grand,

Que ce chœur rempli d’allégresse.

 

Si voyiez les Évangélistes,

Comme portent beaux vêtements,

Semblent tout recouverts d’étoiles,

Sur chacun répandent lumière.

 

Près d’eux se tiennent les Docteurs,

Qui au monde donnaient splendeur ;

Toujours chantent avec ardeur,

Si bien qu’aux saints donnent douceur.

 

Dans la ronde va saint Benoît

Et saint Grégoire et saint Sylvestre.

Il fait beau voir ce chœur élu

D’entre les autres confesseurs.

 

Tous les anges font un seul chant,

Tant de Jésus ils sont épris !

Disent : Sanctus, Sanctus, Sanctus,

Par amour de notre Sauveur.

 

De la Sainte Vierge Marie

Voyez comme est belle l’escorte !

Madeleine est sa conductrice

Celle qui eut la grande ardeur.

 

En ce bal voici sainte Agnès,

Qui danse si courtoisement ;

Réservées lui sont les reprises,

Qui se commencent par amour.

 

Près d’elle on voyait sainte Claire,

Qui paraissait l’étoile Diane,

Si belle était, si souveraine,

Qu’à Jésus fortement plaisait.

 

Quant à la vierge Catherine,

Bien me paraît être une reine,

Tant est belle sa compagnie

Enguirlandée de violettes.

 

Les autres vierges, tant que sont,

Portent des robes toutes blanches,

À l’Époux se tiennent devant

Qui leur donne si grand douceur.

 

Qui contemplerait cette ronde,

Laquelle va si amoureuse,

En aurait l’âme toute joyeuse,

Ne voudrait rien d’autre son cœur.

 

Qui contemplerait cette danse,

Où se montre si grande fête,

En aurait si grande allégresse,

Que la répandrait au dehors.

 

Toujours c’est nouvelle allégresse,

Qui en tout temps se rafraîchit,

En regardant la grand beauté

Du Très-Haut Seigneur de ce lieu.

 

Saints et saintes de ce royaume

Sont signés et marqués d’un sceau,

Par le sang sacré de l’Agneau

Qui mourut pour l’amour de nous.

 

Tous les saints, qui y sont montés,

Par l’amour ensemble conjoints,

Se tiennent comme rois et comtes,

À contempler leur Empereur.

 

Tous se tiennent en même guise,

À regarder ce beau visage ;

Et là est tout le paradis,

À jouir de cette vision.

 

Tous ils voient au-dedans de Lui,

Ceux-ci de loin, ceux-là de près.

Tous ils voient au-dedans de Lui,

En sont pleins dedans et dehors.

 

De cette lumière divine,

Qui en a plus, qui en a moins,

Mais chacun d’eux en est si plein,

Que jamais plus il n’en désire.

 

Cet exemple on pourrait donner :

À qui gîrait en pleine mer,

Conviendrait-il de demander :

As-tu de l’eau tant que tu veux ?

 

Dans cette mer démesurée,

Tout chacun des saints s’est noyé,

Dessus, dessous, de tout côté,

Se trouve entouré par l’amour.

 

Tous sont assis à ce festin,

Contemplent ce miroir parfait,

Chacun est beau et chacun brille

Sept fois plus fort que le soleil.

 

Dans la cour doucement l’on chante

Alleluia en allégresse,

Tous d’une seule concordance,

Sont conjoints par un même amour.

 

Et lorsque tous les autres saints

Auront acquis les manteaux blancs,

Feront entendre si doux chants,

Que toujours sembleront nouveaux.

 

En cette cour céleste on trouve

Tous les jours nouvelles beautés ;

Et ne passe jamais une heure,

Sans que ne chantent par amour.

 

Cette cour est toute remplie,

De tous temps est fleur de farine ;

N’y a province si lointaine,

Que n’y mène route d’amour.

 

Dieu nous accorde de l’aimer,

Pour que nous y puissions entrer !

Lui qui daigna nous racheter,

Et qui pour nous voulut mourir.

 

Et nous qui sommes pèlerins,

Que Dieu nous fasse citadins

Du grand royaume de Celui

Qui paya la rançon pour nous !

 

 

Jacopone da TODI.

 

Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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