De la grande bataille de l’Antéchrist

 

 

Ore on verra vraiment qui aura courage !

La tribulation qui fut prophétisée,

De tous côtés, la vois en foudre éclater.

 

La lune est obscure, le soleil ténébré,

Les étoiles du ciel vois toutes tomber ;

L’antique serpent semble être déchaîné,

Tous les peuples du monde vois à sa suite ;

Toutes les eaux a bu, par toute la terre,

Le fleuve Jourdain espère déglutir,

Le peuple du Christ tout entier dévorer.

 

Le soleil, c’est Christ, qui ne fait plus de signes,

Pour fortifier ceux qui le servent encore ;

Miracle ne vois qui puisse soutenir

La fidélité des peuples égarés ;

Sujet de dispute en fait la gent maligne,

Opprobres en disent très mauvaisement,

En les raisonnant, ne les pouvons tirer.

 

La lune, oui, c’est bien l’Église obscurcie,

Laquelle, la nuit, au monde reluisait,

Pape et cardinaux par elle nous guidaient ;

La lumière s’est retournée en ténèbre ;

C’est l’universelle assemblée du clergé,

Qui se fourvoya et prit mauvaise voie ;

Ô Sire Dieu, qui se pourra échapper ?

 

Les étoiles que du ciel voyons tomber,

C’est l’ensemble des familles religieuses,

Beaucoup de la voie droite ainsi sont sorties,

Pour s’engager dans la route périlleuse ;

Les eaux du déluge très haut sont montées,

Couvert ont les monts, submergé toute chose ;

Aide, ô mon Dieu, aide le peu qui surnage !

 

Tout le monde entier je vois qui se concasse,

Et qui, précipité, s’en va à la ruine ;

Comme l’homme qui est rendu frénétique,

Auquel on ne peut appliquer médecine,

Tant les médecins en ont désespéré,

Que rien ne lui sert, ni magie, ni doctrine,

Et que le voyons à toute extrémité.

 

Tout le genre humain vois qu’a été signé

Du caractère de l’antique serpent,

Et en trois partis s’en trouve divisé ;

Qui campe dans l’un, l’autre le fait dolent ;

L’avarice dans le camp s’est introduite,

Les a déconfits et tué tant de gens,

Que bien peu il en est qui veuillent rester.

 

Si quelqu’un échappe à ce terrible assaut,

Décerner lui peux couronne de sagesse ;

S’enfle la science et au plus haut se monte,

Vilipende les autres et pour soi maintient ;

De tous autres gens les peccadilles compte,

Les siennes met derrière, qu’on ne les voie ;

Veulent parler beaucoup et jamais rien faire.

 

Les quelques peu nombreux qui ont échappé

À toutes ces deux attaches douloureuses

En autre piège aussi les a enchaînés :

De produire signes sont fort désireux,

Faire des miracles, rendre les santés,

D’extases et de prophéties sont goulus ;

Si aucun en réchappe, on peut Dieu louer.

 

Arme-toi, homme, car vite passe l’heure

Que puisses esquiver une telle mort ;

Qu’aucune ne fut encore aussi cruelle,

Ni autre ne sera jamais si terrible ;

Tous les Saints en ont eu très grande épouvante

D’avoir à subir une pareille épreuve :

Se croire en sûreté, bien sot me paraît.

 

 

 

Jacopone da TODI.

 

Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net