Reconnaissance

 

 

Mère ! quel est ce mot que je ne puis comprendre.

              Que j’entends souvent répéter,

Reconnaissance ? « Enfant, je m’en vais te l’apprendre ;

              Mais il faut me bien écouter :

 

C’est un amour profond pour celui qui nous aime,

              C’est un doux souvenir du bien

Qui vit dans notre cœur, ne meurt qu’avec nous-même,

              Ou plutôt, enfant, ce n’est rien,

Rien qu’un mot, rien qu’un rêve, une vaine espérance

              Que l’on voit fuir avec douleur :

Le bien doit après lui porter sa récompense ;

              Mais l’attendre du monde, erreur !

 

Lorsqu’un pauvre parfois s’arrête à ton passage

              Et te dit d’un accent bien doux :

« Donnez, je ne puis plus travailler à mon âge,

              Donnez, je prierai Dieu pour vous. »

Tu crois en ce vieillard ? et de ta foi déçue,

              L’ingrat ! il va rire aujourd’hui ;

L’aumône est oubliée aussitôt que reçue,

              Et, s’il prie, il priera pour lui.

 

De même, tu verras des hommes dans le monde

              Qui te parleront tous les jours

De leur reconnaissance éternelle, profonde ;

              N’y crois pas ; mais donne toujours.

Fais le bien pour le bien, non pour qu’on te bénisse,

              Non pour ce qui t’en reviendra ;

N’attends rien, mon enfant, de l’humaine justice,

              Dieu seul un jour se souviendra !

 

 

 

                                                                        1841.

 

 

Adèle TOUSSAINT,

Épaves, sourires et larmes, 1870.

 

 

 

 

 

 

 

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