Les volets sont fermés...

 

 

Les volets sont fermés. Voici qu’elle repose

Dans l’endormante odeur de l’éther et des roses,

Autour des mains on a noué son chapelet ;

C’est bien la même chambre où sa voix m’appelait

Qui maintenant la garde morte. Les bougies,

Remuant sur le lit leurs flammes élargies,

Me simulent parfois qu’elle me tend les bras.

Mais non ! ils ont couvert de feuillage ses draps,

Et le calme des morts sur son visage flotte,

On entre, on s’agenouille, on se signe, on sanglote,

On asperge d’un peu d’eau bénite, et l’on part.

Moi, je reste, vivant de ma mère à l’écart,

Sans une larme, avarement jaloux et sombre,

Face à face avec elle et la fixant dans l’ombre ;

Elle sourit ainsi que jadis en priant.

Il semble qu’elle va s’éveiller : c’est criant

Comme elle vit étrangement dans le silence !

Et croyant que tout est comme hier, je m’élance

Au-devant de la voix qui tout à coup dira

Le mot quotidien que mon cœur recevra :

« Bonjour, ma joie ! »

                                       Hélas ! Dieu ne veut pas la rendre,

Elle est là, mais n’est plus. Je ne peux pas comprendre...

Ô mon Dieu ! se peut-il que ce visage aimé,

Que ce cœur en lequel je me suis abîmé,

Ce corps enfin dont je suis né, tombe en poussière ?

Que m’importe qu’ensuite il rayonne en lumière.

Qu’il devienne l’éclat des fleurs ou des oiseaux,

Si je n’y reconnais ni sa chair ni ses os !

Ah ! j’ai la foi qu’un jour ma prunelle éblouie

Retrouvera la chère image évanouie !

Ce qu’ignorent mes sens, Dieu me l’a révélé :

Le grain qu’on jette au champ n’est pas encor le blé ;

Il faut qu’il meure avant d’être l’épi superbe

Qui s’alourdit de gloire au sommet de la gerbe !

Ainsi le corps : il est semé dans le péché,

À toutes les horreurs de la terre attaché ;

Puis la tombe en ses flancs avidement l’enferme ;

Mortels, ne croyez pas qu’il s’y détruise, il germe !

Et bientôt, recouvrant son lustre originel,

Il s’épanouira dans le champ éternel !

Ô chair dont je suis né, chair maternelle et sainte,

Va retrouver nos morts ; je te livre sans crainte

Au tombeau, car au dernier jour tu surgiras !

Je te reconnaîtrai, tu me tendras les bras ;

Je presserai contre mon cœur ta même argile,

Oui, la même, transfigurée, heureuse, agile,

Libre des lois de la pesanteur et du temps ;

Et nous taisant comme autrefois, nous écoutant,

Nous sentirons brûler notre extase fervente

Dans ta splendeur sans ombre, ô Trinité vivante.

 

 

 

Robert VALLERY-RADOT, L’Eau du Puits : In Memoriam.

 

 

 

 

 

 

 

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