Lequel ?

 

POÉSIE MAGYARE.

 

 

Sur le seuil de marbre d’un hôtel luxueux

Une veuve en grand deuil attend en soutenant

Sur chacun de ses bras un tout petit enfant.

Tous trois sont hésitants, ils n’osent, point entrer.

C’est le soir de Noël, on ne voit pas une âme.

Seul, un seigneur approche appuyé sur sa canne...

Le cœur des innocents s’est tout à coup serré...

– Que cherchez-vous ? Que demandez vous bonne femme ?

– Hélas, mon bon seigneur !... Écoutez je vous prie...

– Bien, bien, ne gémis pas ; par le sang ! n’aie pas peur.

– J’ai vu imprimé... (je me le rappelle bien)

Qu’on voudrait adopter ici un orphelin...

– Ah ! oui, je sais... allons, venez ma vieille dame.

Hâtez-vous, car le temps est précieux pour moi.

Il les conduit alors par un salon doré

Près d’une porte. Il l’ouvre en leur disant d’entrer.

La chambre est de velours ; une dame en grand deuil,

Triste, est assise auprès d’un arbre de Noël.

Elle lève sur eux des yeux voilés de larmes,

Elle a perdu un fils charmant... et de leur âge.

– Bonne femme, approchez ; m’en céderez-vous un ?

– Il le faut, il le faut car leur père est sous terre

Et je me sens malade, et puis c’est la misère !...

– Bien, lequel donnez-vous ? Je vous laisse le choix.

Lequel !... en l’entendant mon cœur s’emplit d’effroi :

Oui, lequel emmener ?... lequel m’aime le mieux ?

Lequel abandonner sans trop briser mon âme ?

Son regard obscurci va d’un enfant à l’autre...

Jean – le garçonnet – lit déjà et écrit bien.

Le soir il a toujours son alphabet en main...

La fille, Mariska, sait déjà ses prières...

Mon cœur ! si tu pouvais choisir entre les deux !

Jean alors ?... Oh non ! non ! le soir près de la lampe

Ses cheveux se répandent en flots si doux, si blonds,

Si gracieux, sur les genoux de sa maman !

Une douleur aiguë perce son cœur de mère...

Si elle allait ne plus jamais le revoir là ?

Non... plutôt Mariska... Oh ! l’angoisse l’étreint !

Son petit lit est approché si près du sien !

Tout récemment encore il fallait la bercer.

Quand le soir est venu, sa mère tend la main

Et elle appuie dessus les boucles de sa tête.

Elle s’endort ainsi. – Demain, en s’éveillant

Si elle allait ne plus retrouver sa maman ?

Non ! Non ! – Vous hésitez ? dépêchons, bonne femme,

Lequel me laissez-vous ? Choisissez, choisissez !

Elle pousse un cri, cri d’âme torturée :

Oh ! je n’en peux donner aucun ! Ni l’un, ni l’autre.

 

 

 

Antoine VARADI.

 

Paru dans Almanach de l’Action

sociale catholique en 1935.

 

 

 

 

 

 

 

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