Je le sens...

 

 

Je le sens, elle brûle en moi,

La sainte ardeur de l’inspiré,

Mais vers quel but l’esprit court-il ?

Qui m’enseignera le salut ?

Voici sous mes yeux l’existence

Fumant tel l’océan sans bords...

Verrai-je la roche espérée

Où j’aborderai d’un pied ferme ?

Ou, livré au doute éternel,

Fixerai-je en mon amertume

La vague inconstante, ignorant

Ce qu’il faut aimer ou chanter ?

 

Découvre toute la nature,

Me dit une secrète voix :

Mais que ton œil garde le choix.

Ton heure encor n’est pas venue ;

Poursuis la merveilleuse vie,

Que chaque minute en renaisse,

Et qu’à chacun de ses appels

L’écho de tes hymnes réponde !

Quand les moments où l’on s’étonne,

Quand les songes brumeux fuiront,

Quand l’œil calme y verra plus clair

Dans l’éternelle création,

Alors l’ambition cèdera

D’étreindre en un clin d’œil le monde,

Et tes accords, en s’apaisant,

Fondront en œuvre harmonieuse.

 

Ces prophéties n’étaient point fausses,

Depuis lors mes accords fidèles

Plus jamais n’ont trahi mon âme.

Je chante ou les joies ou les peines,

Le feu des passions, de l’amour,

Et dans la flamme de mes vers

Je me fie à mes pensées promptes.

Ainsi le rossignol des bois,

Dans son rapide enthousiasme,

Quand sur le val se couche l’ombre,

Célèbre tristement le soir,

Puis au matin gaiement accueille

Le ciel pourpré où naît le jour.

 

 

 

Dmitrii Vladimirovitch VENEVITINOV, 1827.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie russe,

choix, traduction et commentaires de Jacques David,

Stock, 1947.

 

 

 

 

 

 

 

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