La disparue

 

 

Elle était comme une rose pâlie ;

Je la sentais discrète, autour de moi,

Avec des mains de miel pour ma mélancolie.

 

Sa jeunesse touchait à ses heures de soir ;

Quoique malade, elle était calme et volontaire

Et m’imposait et sa tendresse et son espoir.

 

Aucune ardeur, qui domptait par secousse ;

C’était de la sentir si droite, en son amour,

Qui me tenait dans sa contrainte égale et douce.

 

Elle peut-être a su lire le texte obscur

De mes rancœurs, et de mes lourds silences

Et, dans ma volupté, tuer le lys impur.

 

Sainte pour moi et claire et lentement

Comme une étoile, un soir d’ombre légère,

Seule, elle s’en alla fleurir le firmament.

 

De purs rayons illuminent son cœur,

Depuis qu’en des dortoirs de lune,

Elle est dormante, au clair de son nouveau bonheur.

 

Elle est morte, sans bruit, tout doucement,

Mais si calme, dans l’humble pose

De l’agonie et de la paix de son moment.

 

Ses bonnes mains de consolation

– Oiseaux d’espoir – se sont levées

Vers sa lointaine et attirante assomption,

 

Là-haut, en un jardin si rempli de fleurs d’or

Et si rayonnant d’aube et de calme lumière

Que les ombres des fleurs y sont de l’or encor.

 

Depuis elle m’assiste, ainsi qu’on aide un pauvre enfant

Qui simplement, un jour, s’en vint au monde,

Sans trop savoir comprendre, hélas ! qu’il fut longtemps

 

En un pays de tristesse et de nuit,

La morne fleur de sa propre misère

Pour la sombre abeille de son ennui,

 

Et qui sans se juger encor, trop âprement,

Après combien de pleurs, d’affres et de tortures

S’en est venu vers un séjour d’apaisement,

 

Grâce toujours à la sainte dont le cœur

Et les conseils calmes et volontaires

Ont doucement rendu son cœur meilleur

 

Rien n’est plus doux que de sentir sur soi,

Une force d’au delà de la vie,

En qui l’on ait croyance et foi

 

Et que l’on sait ardente et tout entière

Penchée, aux heures de la peur

Avec sa main qui tient de la lumière.

 

Aussi la vois-je aller, passer, venir,

Me doucement frôler avec sa robe

Et me charmer avec les yeux du souvenir.

 

Elle conduit mes doigts qui lui écrivent

Ces vers pleins d’elle, afin qu’ils soient

De blancs chemins où ses pensers me suivent.

 

Je lui confesse tout, comme autrefois,

Bien qu’elle sache aujourd’hui tout d’avance,

Et qu’elle entende l’âme avant la voix.

 

Il n’est rien que je ne veuille lui dire.

Quand, certains soirs, comme vivante, je la vois,

Je joins les mains pour lui sourire.

 

Je suis l’ardent de sa toute présence ;

Je la voudrais plus morte encor

Pour l’évoquer, avec plus de puissance !

 

Dans la maison de ma tristesse

Elle est la tremblante caresse

De la lumière, à travers les fenêtres.

 

Elle est ce qui fleurit de joie

Dans ma demeure et dans ma voie,

Elle est le son chantant de l’heure.

 

Elle est là doucement assise

Dans la tranquillité de mon église,

À mes côtés sur des chaises amies.

 

Elle est, durant mes nuits de fièvre,

La goutte fraîche, sur la lèvre,

Et la lampe, qui toujours veille.

 

Elle est ma ferveur réorientée,

Ma jeunesse ressuscitée,

Un flot d’aurore, en une aurore.

 

Et maintenant que j’ai trouvé en elle

Une clarté continuelle,

Je n’ai plus peur de l’avenir ;

J’aurai ses yeux, ses mains, son cœur,

Pour mains, regards, et cœur à moi ;

Ses bras en croix devant les sentes

Qui vont vers les périls et les descentes

Me ramènent déjà aux autels de la foi ;

Ses pieds laissent des marques d’or

Sur le sable de blanc silence

Qu’épand mon âme, en sa présence,

Et je les baise et mon effort

Sera de suivre au loin leurs mystiques empreintes,

Jusqu’au moment de notre indubitable étreinte,

Et de ma délivrance, en mon dernier soupir.......

 

Et tel vivrai-je en elle, afin d’y bien mourir !

 

 

 

Émile VERHAEREN, Les apparus dans mes chemins.

 

Recueilli dans Poèmes chrétiens de Verhaeren,

présentés et commentés par André Mabille de Poncheville,

Duculot, 1968.

 

 

 

 

 

 

 

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