Agenouillement

 

 

Seigneur, si tu le veux, tu peux me repousser ;

Je viens à toi, pareille au pèlerin lassé

Qui, fouillant l’horizon que trop d’ombre submerge,

Console sa fatigue à rêver de l’auberge.

Je resterai, si tu l’exiges, sur le seuil ;

Car l’âme qui t’approche est en robe d’orgueil.

Je l’en dévêtirai, pour toi, Dieu des lumières ;

Que son dénuement soit mon tapis de prières.

 

Je ne sais pas encor si je crois bien en vous,

Je ne sais plus comment vous parler à genoux.

Je voudrais t’adorer, la tête renversée,

Comme on fixe un soleil, paupière éclaboussée.

Ô Seigneur, laisse un peu de lueur habiter

Ma tempe sans lumière et mon cœur sans clarté.

Comprendras-tu combien il fait noir sur la route

Où ton œil invisible est l’astre qu’on redoute ?

 

Je portais autrefois la splendeur de ton nom

Sculpté comme une étoile à mon candide front.

La fraîcheur des Noëls que l’enfance protège

Dans mon âme volait en lumineux arpèges ;

Et quand je m’égarais, haute parmi les fleurs,

Le parfum des jardins s’accrochait à mon cœur.

La chanson des étés dont l’être s’extasie

Semblait être la part que l’on m’avait choisie.

 

Je traversais la joie où le pas est léger,

Le rire dans mes mains semblait s’être logé.

Ignorante des soirs que le sanglot triture,

Moi je mêlais ton nom à toute la nature.

Mais, ô mon Dieu, déjà je portais à mon bras

L’urne des lourds destins que je ne savais pas,

Et je m’acheminais, téméraire et ravie,

Vers le torride appel d’une orageuse vie.

 

Je ne voyais plus rien, je ne distinguais plus

Que le contour humain de mon rêve éperdu.

Je tutoyais un ciel moins chaud que ma démence :

C’était l’heure où le monde est une rose immense.

Ayant connu le jour où la chair dit son droit,

La vertu me parut un corridor étroit.

Je laissai comme une aube où les clartés se meuvent

Les faunes du désir piétiner mes chairs neuves.

 

Sous l’implacable loi qui régit l’univers,

J’aurais voulu qu’on saccageât mon cœur ouvert.

Je courus vers l’amour, d’un ivre pas de danse,

Si joyeux qu’il devait être déjà l’offense.

L’amour exigeant plus que n’exige la mort,

Il dénuda ma volupté de tout remords.

Et pour me libérer de ce qui nous oppresse,

Aux hommes je tendis mes levains de tendresse.

 

Je vécus leurs frissons si fiévreux et divins,

J’eus faim de leurs baisers que l’on renie en vain,

– Car la bouche retient en trace indélébile

La forme du plaisir, émergeant comme une île

Des houles que soulève un charnel souvenir. –

Seigneur, j’ai tant souffert de ne pouvoir haïr

L’orage où me menaient de nouvelles tourmentes

Dont ne se lassaient pas mes pauvres bras d’amante !

 

Quel crime d’infamie ai-je donc accompli,

Que ton œil courroucé me fût si froid d’oubli ?

Fut-ce d’avoir été trop docile à la terre ?

Cette terre, ton Rêve ! ô toi le Solitaire

À qui n’a pas suffi l’amas des firmaments ;

Toi, l’Incommensurable en qui nos courts moments

Tissent l’éternité, tu me prêtas une heure,

Et sa part de bonheur faut-il que je la pleure ?

 

Toi qui fis de l’amour le flambeau de mes nuits,

Soleil brutal jamais éteint qui me poursuit,

Circule dans mon corps et fait ployer ma hanche,

Comme sous les vents lourds, l’arbuste frêle penche ;

Toi qui n’assuras pas à l’homme un lendemain,

Pourquoi exigeais-tu mon remords toujours vain ?

Pourquoi jalousais-tu mon cœur fou de lumières

Dont les vertiges chauds brusquement chavirèrent ?

 

Ce cœur tout tailladé de chagrins angoissants,

Il te revient, Seigneur, sous le signe du sang.

Ombre, toujours hantant cette ombre qu’est notre âme,

Voix qui n’a pas de voix, mais sans cesse réclame

Le labeur incessant de vivre et de mourir

Que l’homme n’eût jamais imploré d’accomplir,

Quand donc mettras-tu fin à ce qui recommence,

Et serons-nous jamais lavés de ta souffrance ?

 

 

Ô Christ qui parmi nous n’avez jamais souri,

Sur qui pesa l’éternité de notre cri,

Vous, l’Inintelligible abreuvant de mystère

Votre passage si limité sur la terre,

Quel songe douloureux avez-vous enfanté

Que n’a pu rançonner votre divinité ?

N’était-ce pas assez de crouler sur nos routes,

Faut-il qu’à vos sanglots tant de larmes s’ajoutent ?

 

Comme toi j’ai meurtri ma chair sur les cailloux,

Personne n’est venu redresser mes genoux.

Des femmes d’Israël lavèrent ton visage,

Seul le lin de la brise imprima mon image.

Des justes proclamant d’onctueuses pitiés

Écœuraient ma douceur d’un pardon vicié,

Parés du frauduleux manteau de la justice,

Jaloux de n’avoir pas la faute salvatrice.

 

Mais plus ils te nommaient un Ange de Terreur,

Plus j’éprouvais la soif du fleuve de ton cœur.

Ne craignant rien d’un ciel aux règles inhumaines,

Je suis venue à toi, malgré mes œuvres vaines.

Le bien que j’aurai fait tient au creux de ma main,

Je n’aurai su qu’aimer, que répandre en chemin,

De mes doigts jamais joints pour être plus prodigues,

Une mansuétude à toutes les fatigues.

 

Fais que je me ranime en ta faveur, un jour,

Ô Christ dont la Beauté s’humanisa d’amour !

Plus haute que ta croix mon angoisse se dresse,

Sur elle fais planer les yeux de ta tendresse.

Je viens hausser vers toi le don de mon espoir ;

Déchire-moi l’azur où tout me paraît noir,

Où tout mutile mon esprit ; vois, je suis celle

Qui t’apporte, Seigneur, une âme universelle.

 

Mon doute a plus d’amour que n’en porte la Foi,

Et cet amour blessé me rapproche de Toi.

Je t’ai jeté le cri de ma douleur qui tremble :

Peut-être verras-tu qu’un peu je te ressemble ?

Que ma vénalité dans ta douceur se noie,

Comme tu le voulus quand, d’un cœur éperdu,

Madeleine épancha sur tes divins pieds nus

Le flot torrentiel de ses cheveux de joie !

 

 

 

Medjé VÉZINA,

Chaque heure a son visage.

 

 

 

 

 

 

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