Où la terre devient de l’or

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Octave-Louis AUBERT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DEUX bretons insulaires, le mari Glaudan et la femme Galoguen avaient vu leur barque séparée par la tempête de la flottille à laquelle ils appartenaient. Le vent s’étant calmé, ils vinrent échouer dans une anse de la côte du Léon, que l’on appelle aujourd’hui l’anse de Goulven, en bordure du territoire de la commune de Plouider (canton de Lesneven).

La détresse des naufragés est grande. La côte, couverte de taillis épais, paraît habitée seulement par les fauves. À peine Galoguen a-t-elle mis le pied sur le sol armoricain, qu’elle se sent prise des douleurs de l’enfantement. Glaudan ne sait comment secourir sa femme. Fiévreuse, celle-ci réclame de l’eau. Seule la mer pourrait lui offrir son onde amère. Le mari désespéré se voit dans la nécessité d’abandonner son épouse pour aller à la découverte d’une source prochaine, mais il n’a aucun vase pour rapporter de l’eau. Il s’avance au milieu du taillis. Soudain, il aperçoit une chaumière, dressée à l’orée de la forêt, sur la falaise qui domine la mer. Il reprend espoir et frappe à la porte. Celle-ci s’ouvre. Un véritable sauvage apparaît. Glaudan implore une hospitalité qui lui est brutalement refusée. Tout au plus, l’homme consent-il à indiquer à Glaudan un sentier qui conduit au ruisseau. Il lui prête aussi un vase. Mais Glaudan s’égare dans l’épaisseur du bois et ne parvient pas à joindre le ruisseau. Il tombe à genoux, supplie le ciel de venir à son aide, de secourir l’infortunée Galoguen.

Après avoir marché toute une nuit et tout un jour, Glaudan, épuisé à son tour, se retrouve à l’endroit où il a laissé Galoguen. Celle-ci, en souriant, lui présente son fils qui est né, qu’elle allaite et auquel elle a donné le nom de Goulven. À ses côtés, une fontaine a jailli. Dieu a exaucé la prière de Glaudan. Cette fontaine se nomme toujours la fontaine de Saint-Goulven.

Glaudan et Galoguen s’établirent à l’endroit même où était né leur fils. Et ceci se passait à l’aurore du VIe siècle.

Quelques années plus tard, un riche Breton s’intéressa à Goulven enfant. Il le fit instruire en vue de l’instaurer son héritier.

Goulven dédaigne la fortune. Il préfère demeurer pauvre et habiter le désert. Sur la plage même où ses parents ont abordé, où il a vu le jour, il construit son pénity. Il n’a qu’un compagnon, nommé Maden. Tous deux travaillent avec acharnement pour défricher la forêt voisine. Ils ne s’arrêtent que pour prier et processionner autour de trois croix qu’ils ont eux-mêmes dressées. Le sol est devenu fertile grâce à leur labeur. Des émigrants s’établissent dans le « Minihy de Saint-Goulven ». Goulven ne sort pas pour cela de sa solitude. Il ne parle à personne, sauf à un rude laboureur appelé Ioncor (nom qui existe encore en Bretagne sous la forme de Joncour) qui habite le vallon voisin de Plou Énéour.

– Tu vas aller trouver Ioncor et tu lui diras qu’il te donne pour sceller notre amitié ce qui se trouvera sous sa main lorsque tu lui adresseras la parole. Quant à toi, quoi que te donne Ioncor, tu l’en remercieras. Tu reviendras ensuite sans regarder, avant d’être de retour au pénity, ce que tu apportes.

Maden arrive à Plou-Énéour. Ioncor conduit sa charrue et creuse un sillon. L’envoyé dit le but de sa visite. Ioncor veut satisfaire le désir de Goulven, mais il ne sait quoi lui remettre. Tout à coup, pris d’une idée subite, il se baisse ; ramasse trois poignées de terre et les jette dans la tunique de Maden.

Celui-ci, après avoir remercié Ioncor, reprend le chemin du pénity. Il a l’impression, à mesure qu’il avance, que ce qu’il emporte s’alourdit. Il lui faut ralentir sa marche. Sa poitrine est oppressée et sa tunique risque de se déchirer. Enfin, à bout de forces, il arrive devant Goulven. À ce moment seulement, il regarde le présent de Ioncor et s’aperçoit que les trois poignées de terre se sont changées en trois lingots d’or.

Cette légende montre dans sa forme symbolique les bienfaits qui ont résulté pour l’Armorique de la venue des saints et des émigrés bretons, qui ont fait un sol fertile d’une terre inculte.

Dans sa vieillesse, bien malgré lui, on fit de Goulven un évêque. Le bruit du monde l’effraya. La crainte d’être retenu par ses ouailles l’incita à quitter clandestinement son pays de Léon et même la Bretagne. Il alla se cacher dans un coin perdu de l’évêché de Rennes et, dans le nouveau pénity qu’il se construisit, il recommença sa rude vie d’ascétisme et de prière.

 

 

Octave-Louis AUBERT,

Légendes traditionnelles

de la Bretagne, 1949.

 

 

 

 

 

 

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