Le torrent silencieux

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Octave-Louis AUBERT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La petite commune de Locquenvel se trouve dans le canton de Belle-Isle-en-Terre. Son église est peut-être la plus ancienne du pays. Son clocher porte en effet la date de 1111. Elle est placée sous l’invocation de saint Envel.

Envel, né en Grande-Bretagne, vers le sixième siècle, était abbé. Il avait un frère, abbé comme lui, et une sœur, nommée Juna, qui était, elle aussi, dans les ordres. Obligés de fuir les Saxons, ils s’expatrièrent et vinrent en Armorique.

Après leur débarquement sur la côte, ils marchèrent longtemps et s’arrêtèrent finalement à l’orée de la forêt de Coat an Noz (le bois de la nuit). Le séjour leur parut agréable. Ils résolurent de s’y fixer. Ils bâtirent trois ermitages peu éloignés l’un de l’autre. L’ermitage de saint Envel était en Locquenvel, précisément dans le lieu où se trouve l’église ; celui de son frère, à Belle-Isle, à l’endroit où s’élève la chapelle du Bois ; celui de Juna se trouvait en Plounévez-Moëdec. La rivière le Guic, affluent du Guer, qui forme en son estuaire le port de Lannion, séparait Juna de ses deux frères.

Envol se fit agriculteur et même éleveur. Et c’est lui que l’on invoque maintenant pour protéger les blés contre les corbeaux et les bestiaux contre la maladie et les loups.

Sur l’un des vitraux de l’église, Envel apparaît un licol à la main, puis, un peu plus loin, on aperçoit un loup qui achève de dévorer une jument. Envel s’adressant au loup l’apostrophe en ces termes :

 

            Banquet out dantec,

            Pa teus lac’hes ma c’hazec.

 

            Tu as manqué, bête à dent,

            Car tu as tué ma jument.

 

Sur un autre vitrail, Envel enlace la tête du loup de son licol, et force celui-ci à le suivre et à lui tenir lieu, pour labourer son champ, de la jument qu’il a perdue. Et dans un quatrième tableau, on voit le loup attaché à une charrue et conduit par le saint, qui tient un fouet levé et prêt à frapper.

Non loin de l’église, la rivière le Guic coule sur un amoncellement de rochers. Bien que les eaux aient une apparence torrentueuse, on ne les entend pas. En voici la raison :

Juna, très souvent, venait rendre visite à son frère, mais, par esprit de sacrifice, tous deux avaient fait vœu de ne se voir et parler qu’en demeurant chacun sur une rive différente. Un jour, la rivière avait été grossie par la pluie. Ses eaux grondaient avec un bruit si assourdissant que, bien en vain, Envel et Juna essayaient de s’entendre. Comme ils n’y parvenaient pas, Envel ordonna au torrent de se taire et, depuis, il n’a jamais osé élever la voix.

 

 

Octave-Louis AUBERT,

Légendes traditionnelles

de la Bretagne, 1949.

 

 

 

 

 

 

 

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