Un jour de la semaine dernière...

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Robertine BARRY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un jour de la semaine dernière, le Temps passant dans une rue détournée de la ville, rencontra l’Amour un peu transi par la bise d’automne, qui attendait...

« Que fais-tu ici ? demanda le Temps, surpris de cette rencontre en un lieu désert.

– Je l’attends, répondit le dieu. Il y a longtemps qu’Elle se dérobe à mes traits vainqueurs, mais ce matin il lui faut passer par ici et j’ai dans mon carquois pour elle gardé la meilleure flèche.

– Je vais la prévenir de tes desseins perfides, grommela le vieux à barbe grise.

– Tu ne la rencontreras pas, repartit en riant l’Amour, vous ne marchez pas dans les mêmes sentiers.

– Je l’atteindrai pourtant un jour, dit le bonhomme en agitant son sablier, et ce jour n’est pas loin... Regarde ! vois-tu avec quelle rapidité les mois et les années s’écoulent ?

– Je les fais couler plus rapidement encore quand telle est ma volonté. Avec moi, les années ne sont qu’un beau rêve... je ressuscite tout : les cœurs que l’on croyait ensevelis, le bonheur qui semblait disparu...

– Tu feins d’oublier les douleurs que tu causes et dont je ne puis souvent réussir à faire complètement disparaître les traces.

– Il n’en est aucun qui voulût changer sa peine, répondit fièrement le chérubin blond et rose. Tu es ce matin d’humeur grondeuse, ô Temps, que t’ont donc fait les hommes et les choses ? » fit l’Amour ironiquement.

Le vieillard secoua la tête.

« N’as-tu pas très agréable besogne, continua le dieu ajustant une flèche dans son arc, en t’amusant à tracer des arabesques sur les joues naguère roses et fermes des belles dames ?

– Des belles dames en vérité ! grogna le Temps, très colère. À peine ai-je marqué leur front de mes lignes les plus délicates, que le lendemain, tout est effacé et l’on ne voit plus rien de mon œuvre.

– Dis-moi le nom de celui qui opère ces métamorphoses ?

– Elles lui donnent plusieurs noms. Pour les unes, c’est la poudre de riz, pour les autres, ce sont les cosmétiques, et que sais-je encore ? Elles jettent leur or au coiffeur qui dissimule leurs cheveux blancs, ou au parfumeur qui fait disparaître leurs rides. Ah ! les sottes. Elles croient avoir trompé le Temps, elles oublient que j’ai un allié plus fort encore qui, lui, ne les épargnera pas.

– Et cet allié, qui est-il ? demanda Cupidon, effrayé de la véhémence de son interlocuteur.

– La Mort, la Mort ! », ricana le vieillard en secouant ses ailes. Et prenant sa course rapide, il disparut dans le lointain.

Mais l’Amour souriait et ne semblait plus avoir peur.

« Même la Mort ne saurait me vaincre, ô Temps, murmura-t-il, car l’Amour, c’est Dieu et Dieu est éternel... »

 

 

 

Robertine BARRY, Fleurs champêtres, 1895.

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net