L’erreur de saint Arnoux

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Laurent Jean Baptiste BÉRENGER-FÉRAUD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DANS LES ENVIRONS du village de Tourettes-lès-Vence, de l’arrondissement de Grasse, il y a une grotte qu’on appelle la grotte de Saint-Arnoux et qui possède une légende curieuse à plus d’un titre, comme on va le voir par la teneur suivante :

Celui qui devint plus tard saint Arnoux n’était d’abord qu’un homme ordinaire à tous égards et ne s’étant, jusque-là, fait remarquer par aucun acte saillant dans son existence. Il était marié et habitait à quelques lieues de l’endroit où résidaient son père et sa mère, bons vieillards qui avaient pour lui une grande affection et qu’il chérissait de son côté.

Un jour, ses affaires nécessitant un voyage, il quitta sa femme en la prévenant qu’il ne reviendrait que plusieurs semaines après ; mais à peine a-t-il fait quelques lieues qu’il s’aperçoit qu’il a oublié un objet important, de sorte qu’il fut obligé de rebrousser chemin.

Il arrive chez lui au milieu de la nuit et, se proposant de surprendre agréablement sa femme, il pénétra, sans bruit, jusque dans sa chambre à coucher. Mais, ô horreur ! au moment de se glisser dans son lit, il s’aperçoit qu’il y a déjà deux têtes sur l’oreiller... Un homme et une femme dormaient là, côte à côte. Aveuglé par la colère, il tire son couteau et le plonge dans le cœur des deux dormeurs qu’il croyait être sa femme et un complice ; mais à peine les deux victimes eurent-elles rendu le dernier soupir, qu’il constata avec terreur qu’il venait de tuer son propre père et sa propre mère.

Voici ce qui était arrivé : peu d’heures après son départ, son père et sa mère, qui avaient projeté de venir passer quelques jours avec lui, avaient frappé à sa porte. La jeune femme, pleine de déférence et d’affection pour ses beaux-parents, les avait accueillis de son mieux, leur avait servi un excellent souper et leur avait cédé sa chambre, allant elle-même coucher au grenier, afin qu’ils fussent plus à l’aise dans la maison. Arnoux, fou de douleur, sortit de la chambre et de la maison sans savoir où il allait. Il marcha droit devant lui, chemina longtemps avec le désir de se donner la mort ; mais, retenu par la crainte d’ajouter un autre crime à son double forfait, il n’osa se précipiter dans les gouffres qu’il rencontrait sur son chemin.

Il arriva ainsi jusqu’à la grotte qui porte aujourd’hui son nom, et qui est située dans un des endroits les plus sauvages de la vallée du Loup. C’est là qu’il passa le restant de ses jours, en faisant pénitence, ne vivant que de racines et couchant sur la pierre nue. Il fit pénitence pendant si longtemps, ajoute la légende, que son crâne laissa son empreinte sur la pierre qui lui servait d’oreiller. Son repentir était si grand, et la pureté de sa vie si admirable, qu’il mérita d’être sanctifié après sa mort ; et la source de la grotte où il avait vécu reçut le don de guérir les maladies les plus rebelles.

 

 

 

Laurent Jean Baptiste BÉRENGER-FÉRAUD,

Les légendes de la Provence, 1888.

 

Recueilli dans Histoires et légendes de la Provence mystérieuse,

textes recueillis et présentés par Jean-Paul Clébert,

Tchou, 1968.

 

 

 

 

 

 

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