Fleurs de Noël

 

 

J’ai trouvé, dans les murs d’un pauvre monastère,

Un parchemin poudreux et dix fois centenaire ;

En gothique azuré le vélin est écrit. –

Voici ce que j’ai lu dans le vieux manuscrit :

 

Dans une grotte sombre, où de la stalagmite

Rayonnent les cristaux, vivait un saint Ermite.

Comme autrefois Jésus descendu parmi nous

Pour bénir et sauver les peuples à genoux,

D’un mot aux pauvres gens, il charmait leur souffrance ;

Comme on sème des fleurs, il semait l’espérance ;

Rien qu’à le voir sourire on était consolé ;

Il parlait, et le ciel s’entrouvrait dévoilé ;

Il étendait les mains, tout devenait lumière ;

Il tombait à genoux, tout devenait prière ;

Il touchait le malade... et le mal s’enfuyait ;

Il regardait l’aveugle... et l’aveugle voyait. –

Et le souffle de Dieu voltigeait dans l’espace,

Et le peuple disait : Voilà le saint qui passe !

 

Vers le temps qu’advenaient ces faits miraculeux,

Une femme et son fils, bel enfant aux yeux bleus,

Chérubin que le ciel enviait à la terre,

Habitaient sous un chaume antique et solitaire.

Deux fois dans le sillon les blés avaient mûri,

Les roses, au soleil, deux fois avaient fleuri,

Et jeté dans la brise un parfum éphémère,

Depuis que cet enfant souriait à sa mère.

 

Or, un jour qu’il dormait, la mort passa par là...

Et l’âme de l’enfant vers le ciel s’envola !

 

Pauvre mère ! longtemps elle croit qu’il sommeille ;

Le front est rose encore et la lèvre vermeille...

Le regard maternel caresse tour à tour

Des lèvres et du front l’harmonieux contour ;

Puis, pour mettre un baiser sur l’enfantine bouche,

Elle entrouvre les bras, prend son fils dans la couche.

Soudain elle s’arrête et jette un cri d’effroi...

Pourquoi ce petit corps est-il rigide et froid ?

Pourquoi le sang dort-il sans force dans l’artère ?

La pauvre femme alors comprit l’affreux mystère ;

Elle ne pleura pas, car les grandes douleurs

Sont comme le désert, sans rosée et sans pleurs.

Sous un voile, elle met l’enfant dans la corbeille

Qui formait son berceau, puis, l’œil fixe, elle veille,

Priant Dieu d’emporter sa vie ou sa raison.

 

Quel est ce bruit ? On frappe au seuil de la maison.

Ouvrez, dit une voix, bonne femme, ouvrez vite !

Elle ouvre... un homme entra ; c’était le saint Ermite.

La mère, en le voyant, eut un rayon d’espoir,

Mais ne dit rien, pensant qu’il devait tout savoir.

Il avait dans la voix cette douceur divine,

Langage des élus où le Ciel se devine. –

C’est demain, lui dit-il, le saint jour de Noël,

Jour où naquit Jésus ; pour orner son autel,

De roses je voudrais former une guirlande,

Ces fleurs vous les avez, et je vous les demande !

 

On était en décembre, il neigeait justement !

La pauvre mère écoute avec étonnement. –

Des fleurs ! dit-elle enfin, des fleurs ! comment pourrais-je

Les avoir, en hiver, lorsque tombe la neige ?

Des fleurs ! en ce temps-ci ! Des fleurs ! je crois rêver ;

C’est au Paradis seul qu’on pourrait en trouver !

L’Ermite cependant lui répond, impassible :

À cœur vraiment chrétien il n’est rien d’impossible !

Quel est, ajoute-t-il, le berceau que voilà ?

Ne sont-ce pas des fleurs que vous me cachez là ?

Ce serait pour les cieux montrer bien peu de zèle.

 

C’est ainsi que parlait l’homme de Dieu. –

                                                                         Mais elle,

Tremblant à son espoir comme au vent un roseau,

Palpitante... à pas lents... s’approche du berceau,

Et soulève le voile... Ô miracle ! ô merveille !

Elle tombe à genoux...

                                        Car l’enfant qui s’éveille

Sourit dans le berceau, des roses plein les mains.

 

Cy finit la légende escripte ès parchemins.

 

 

 

Alfred BESSE DE LARZES,

Petites poésies pour les pensionnats,

1880.

 

 

 

 

 

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