Le saint aux ânes

 

 

OÙ IL EST PARLÉ DE CE BON SAINT,

ET POURQUOI IL TARDA

À GUÉRIR DES FIÈVRES

LE FILS DU ROI CHARLES

 

 

Le pauvre Saint, tout couvert de vermine,

Et néanmoins sans gloire ni renom,

S’en est venu dessus un pauvre ânon,

Qui n’avait pas non plus bien bonne mine.

 

En d’autres temps, le Roi Charle en eût ri ;

Au lieu d’en rire, il fut, tout au contraire,

Aux petits soins pour l’âne et le bon frère :

Que n’eût-il fait pour voir son fils guéri ?

 

Le Saint promit la guérison parfaite ;

Mais, au moment qu’il touchait le fiévreux,

Un Ange vient, qui, sous les traita d’un Preux,

Conte que l’âne est mort dans l’entrefaite.

 

« Où cours-tu donc ? Le malheur n’est pas grand :

J’ai cent chevaux à ton choix, que t’importe ? »

Dit le Roi Charle au Saint, qui prend la porte

Et, pour le mort, laisse là le mourant.

 

Il eut bientôt couru jusqu’à la crèche,

Et l’âne, afin que vous ne vous trompiez,

L’oreille droite, et remis sur ses pieds,

Donnait déjà des dents dans l’herbe fraîche.

 

« Votre fils, Sire, avait des médecins,

De beaux draps blancs et de bonnes tisanes,

S’en revint dire au Roi le Saint aux ânes,

Il n’eût manqué de trouver d’autres Saints ;

 

« Tandis que lui, l’ânon, ne vous déplaise,

N’avait que moi pour unique soutien.

Songez aussi que, n’étant pas chrétien,

La Mort l’eût mis autrement mal à l’aise ! »

 

Le fils du Roi fut guéri de ses maux :

Et maintenant que l’histoire est finie,

N’aimez-vous point cette Pitié bénie

Qui ressuscite aussi les animaux ?

 

 

 

Robert de BONNIÈRES,

Contes à la Reine : Livre des Saints.

 

 

 

 

 

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