Le lis sur l’étang

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Cécile CHABOT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ELLE n’avait que trois ans la Vierge Marie. Mais déjà elle était grande parce que toute la sagesse du paradis habitait en elle depuis l’instant où Dieu l’avait appelée à la vie.

Et son cœur, et ses mains, et ses yeux, et son esprit étaient plus nets et plus transparents encore que la robe blanche que sa mère lui avait elle-même tissée, le soir à la veillée.

Elle était belle, car ses prunelles, levées vers le ciel ou baissées vers la terre, voyaient sans cesse la Beauté éternelle et tout son être en gardait le reflet.

Quand elle éclatait de rire en jouant devant la maison de son père, quand elle joignait ses mains à l’heure de la prière, quand elle portait, pour aider sa mère, la quenouille de lin ou le pot de lait, et, le soir, quand elle s’endormait tout doucement en regardant, comme de petites veilleuses les étoiles d’or, une à une, s’allumer, les Anges, bien sûr, devaient la contempler car elle accomplissait toutes ces choses avec sérénité ainsi que le Bon Dieu le lui avait demandé.

Or, un jour qu’elle s’en allait au Temple de Jérusalem avec Anne, sa mère et Joachim, son père, sur le bord de la route, ils rencontrèrent un enfant couvert de boue et de poussière, pleurant, le visage caché au fond de ses mains.

Et les mains de l’enfant étaient noires comme un nuage d’orage. Et les mains déteignaient sur le visage mouillé.

La petite Vierge Marie en eût pitié et s’approcha de lui pour savoir ce qu’il avait à tant pleurer.

« Je voudrais, répondit-il, cueillir le beau lis blanc qui fleurit tout seul et tout droit au milieu de l’étang. Mais l’étang est rempli d’eau grise et de boue et chaque fois que j’essaie d’y entrer je cale jusqu’au cou. Le beau lis blanc n’est pas pour moi et je serai, toute ma vie, un petit guenillou, barbouillé de larmes et de boue. »

La Vierge Marie sourit tandis que l’enfant se remit à pleurer.

Puis elle enleva ses sandales à la semelle desquelles nulle poussière du chemin n’était collée et, pieds nus, devant Anne et Joachim et l’enfant étonnés, sur l’étang, marcha sans enfoncer.

Et sa grande robe blanche, tout autour d’elle, flottait sur l’eau grise. Mais l’eau grise ne parvenait ni à mouiller ni à salir la robe de l’Immaculée et ses petits pieds, effleurant la boue, demeuraient blancs et purs comme le fond de son cœur.

Quand elle arriva près du lit, debout, entre deux feuilles vertes, au milieu de l’étang, le lis de lui-même coupa ses racines, s’inclina et se coucha entre ses bras. Et s’en revenant comme elle s’en était allée, plus légère qu’une aile d’ange, plus blanche qu’une neige encore au bord de son nuage, plus humble qu’une violette penchant la tête, et plus gaie qu’une fauvette au mois de mai, la petite Vierge Marie remit à l’enfant émerveillé le lis sans tache qui s’était lui-même donné.

Et quand l’enfant posa ses mains sur la tige verte, là où la Vierge avait posé les siennes, ses mains noires devinrent aussi blanches que deux miches de pain de blé.

Et quand l’enfant pencha son visage, mouillé de larmes et barbouillé de vase, sur le lis pur et parfumé que la Vierge avait regardé, son visage fut lavé et séché comme les feuilles rondes des peupliers, quand le soleil surgit après la pluie.

Et tandis que la petite Vierge Marie, assise sur le bord du talus, remettait ses sandales avant de reprendre, entre son père et sa mère, la route interrompue, l’enfant, qui s’était agenouillé devant elle, pour la remercier, s’aperçut que dans son cœur la paix et la joie fleurissaient ainsi qu’un lis venu des jardins du paradis.

 

 

 

Cécile CHABOT.

 

Paru dans la revue Marie en 1947.

 

 

 

 

 

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