L’ange du sommeil

et l’ange de la mort

 

 

     C’était le soir ; l’éclat mourant du jour

De l’horizon à peine indiquait le contour ;

          La lune pâle et solitaire,

          De ses rayons rasant la terre,

          Montait lentement dans les cieux.

          

          Soudain parurent deux génies,

          Au corps svelte, au vol gracieux,

          L’air souriant, les mains unies,

Vers un sommet voisin dirigeaient leur essor.

Ils venaient de quitter la céleste phalange :

          Du Sommeil l’un deux était l’Ange,

          L’autre était l’Ange de la Mort.

 

Mais l’Ange du Sommeil, avec un doux sourire,

Sema dans l’univers d’invisibles pavots ;

Bientôt tout en subit l’irrésistible empire ;

Tout resta suspendu : peines, plaisirs, travaux.

Sur l’aile du zéphir, leur vapeur enivrante

Pénétra sous le toit de l’humble laboureur ;

     Et le malade oubliait ses douleurs ;

Le débile vieillard à la marche pesante,

Le pauvre, l’affligé ne sentaient plus leurs maux,

Et, bercés par un songe, ils goûtaient le repos.

 

Quand l’ange eut accompli sa tâche bienfaisante,

Joyeux, près de son frère, il courut se rasseoir.

« Combien je suis heureux, lui dit-il, chaque soir,

» De penser que du ciel la bonté prévoyante

» M’a confié le soin de tant d’êtres divers

          » Qui peuplent ce vaste univers.

» Qu’il est doux notre emploi ! Messagers invisibles,

» Fils du ciel et porteurs des volontés paisibles

» De Celui dont le monde adore la grandeur. »

          Ainsi dit l’Ange avec candeur.

          Son frère écoutait en silence,

Quand soudain une larme échappa de ses yeux,

Telle qu’en peut verser un habitant des cieux.

« Non, je n’ai point de part à leur reconnaissance,

          » Lui dit-il, frère, ainsi que toi !

     » Tous les mortels redoutent ma présence,

» Et c’est avec horreur qu’ils subissent ma loi.

          » Pourtant c’est moi seul, oui, c’est moi

» Qui guéris pour jamais les maux et la souffrance.

 

 

         « – Ami, dit l’Ange du Sommeil,

» De leur vie, ici-bas, la mort est le réveil.

» Mais lorsque, du cercueil secouant la poussière,

» Les hommes connaîtront l’éternelle lumière,

     » Et leur destin au-delà du tombeau,

          » Leurs cœurs pleins de reconnaissance,

» Te comprenant alors, béniront ta puissance,

» Et des anges, pour eux, tu seras le plus beau ! »

 

 

 

COLLIGNON.

 

Paru dans L’Austrasie en 1863.

 

 

 

 

 

 

 

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