Berthold au purgatoire

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jacques COLLIN DE PLANCY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Miseremini mei, imseremini mei,

saltem vos, amici mei.

JOB, XIX.

 

Peu après la mort de Charles le Chauve, on trouve dans Hincmar un récit que Leloyer et dom Calmet n’ont pas trop bien éclairci ; c’est le voyage en esprit de Berthold ou Bernold en purgatoire.

Berthold était un bourgeois de Reims, de bonne vie et mœurs, remplissant ses devoirs de chrétien et jouissant de l’estime publique. Il était sujet à des extases ou syncopes qui duraient quelquefois assez longtemps. Alors, soit qu’il eût des visions, soit que son âme se transportât ou fût transportée hors de son corps, effet que produit, évidemment de nos jours le magnétisme, il fit dans ses extases plusieurs voyages en purgatoire.

Étant tombé gravement malade, dans un âge déjà avancé, il reçut tous les sacrements qui allègent la conscience ; après quoi il resta quatre jours entiers dans une sorte d’extase où il ne prit aucune espèce d’aliment. Au bout du quatrième jour, il était devenu si affaibli qu’à peine lui trouvait-on un peu de respiration. Vers minuit cependant il pria sa femme d’envoyer chercher promptement son confesseur. Il redevint ensuite immobile. Mais, au bout d’un quart d’heure, il dit à sa femme ;

– Mettez un siège ici ; car voilà le prêtre qui arrive.

Il entra l’instant d’après, et dit les belles prières de la recommandation de l’âme. Berthold y répondit avec exactitude et lucidité. Après quoi il eut encore un moment d’extase ; et, dès qu’il en sortit, il raconta ses divers transports en purgatoire et les commissions dont l’avaient chargé plusieurs âmes souffrantes.

Il était conduit par un esprit, un ange sans doute. Parmi ceux qui se purifiaient, dans les glaces ou dans les feux, il trouva Ebbon, archevêque de Reims ; Pardule, évêque de Laon ; Énée, évêque de Paris, et quelques autres prélats, vêtus d’habits sales, déchirés, roussis. Ils avaient le visage ridé, hâve et bruni. Ebbon le supplia de demander au clergé et au peuple de Reims des prières pour lui et ses compagnons, qui lui firent les mêmes instances. Il se chargea de ces commissions.

Il trouva plus loin, ou dans un autre voyage, l’âme du roi Charles le Chauve, étendue dans un bourbier plein de vers et très épuisée. L’ex-roi demanda à Berthold de le recommander à l’archevêque Hincmar et aux princes de sa famille, en lui avouant qu’il était puni principalement pour avoir donné les bénéfices ecclésiastiques à des courtisans et à des laïques mondains, comme avait fait son aïeul Charles-Martel. Berthold promit des démarches.

Plus loin encore, et peut-être aussi dans une autre occasion, il vit Jessé, évêque d’Orléans, entre les mains de quatre esprits noirs qui le plongeaient alternativement dans un puits de poix bouillante et dans un puits d’eau glacée. Non loin de lui, le comte Othaire était dans d’autres tourments. Les deux patients se recommandèrent comme les autres aux pieuses diligences de Berthold, qui exécuta fidèlement les commissions des âmes en peine. Il s’adressa, pour les évêques à leurs clergés et è leurs peuples ; pour le roi Charles le Chauve, à l’archevêque Hincmar. Il écrivit de plus, car il était lettré, aux parents du monarque défunt en leur faisant connaître l’état où il l’avait vu. Il alla presser la femme d’Othaire, ses vassaux et ses amis de faire pour lui des prières et des aumônes ; et dans un dernier voyage qui lui avait été accordé encore, il avait appris que le comte Othaire et l’évêque Jessé étaient délivrés ; le roi Charles le Chauve était au bout de ses peines ; et il vit les évêques Ebbon, Énée et Pardule, qui le remerciaient en sortant du purgatoire, frais et vêtus de robes blanches.

Après cet exposé, auquel Berthold ajouta que son guide lui avait promis encore quelques années de vie, il demanda la sainte communion, la reçut, se sentit guéri, quitta le lit le lendemain ; et sa vie se prolongea encore de quatorze ans.

 

 

Jacques COLLIN DE PLANCY,

Légendes de l’autre monde, s. d.

 

 

 

 

 

 

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