Les revenants

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jacques COLLIN DE PLANCY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je viens vous tenir ma promesse.

CARMONTELLE.

 

L’abbé de Saint-Pierre a fait une longue mention, dans ses œuvres, d’une aventure singulière qui eut lieu en 1697, et que nous croyons devoir rapporter ici :

En 1695, un étudiant, nommé Bézuel, alors âgé de quinze ans, se lia d’amitié avec deux autres jeunes gens, étudiants comme lui, et fils d’un procureur de Caen, nommé M. d’Abaquène. L’aîné était, comme Bézuel, âgé de quinze ans, le cadet, plus jeune de dix-huit mois. Ce dernier s’appelait Desfontaines. On ne donnait alors le nom paternel, dans les familles, qu’à l’aîné ; on formait des noms à ceux qui suivaient, au moyen de quelques propriétés vagues. Le frère de Pierre Corneille s’appelait de l’Isle, à cause d’un champ qu’un fossé bourbeux entourait.

Comme le jeune Desfontaines était d’un caractère qui sympathisait mieux que celui de son frère aîné avec Bézuel, l’attachement de ces deux écoliers devint très sérieux.

Un jour de l’année suivante (1696) qu’ils se promenaient intimement, ils lurent ensemble une certaine histoire de deux amis comme eux, lesquels s’étaient mutuellement promis, avec une certaine solennité, que celui des deux qui mourrait le premier viendrait dire des nouvelles de son état au survivant. L’historien ajoutait que le mort revint en effet, et qu’il raconta à son ami des choses surprenantes. Le jeune Desfontaines, frappé de ce récit dont il ne doutait pas, proposa à Bézuel de se faire aussi l’un à l’autre pareille promesse. Bézuel, tout d’abord eut peur d’un tel engagement. Mais plusieurs mois après, dans les premiers jours de juin 1697, comme son ami allait partir pour Caen, il se rendit à sa proposition.

Desfontaines tira alors de sa poche deux papiers où il avait écrit le double engagement qu’ils devaient prendre. Chacun de ces papiers exprimait la formelle promesse, de la part de celui qui mourrait le premier, de venir apprendre son sort à son ami survivant. Il avait signé de son sang celui que Bézuel devait conserver. Bézuel, n’hésitant plus, se piqua la main et signa pareillement de son sang l’autre écrit, qu’il remit à Desfontaines.

Ce dernier, ravi d’emporter son billet, partit avec son frère. Bézuel reçut quelques jours après une lettre, où son ami lui annonçait que son voyage avait été heureux, et qu’il se portait bien. La correspondance devait continuer entre eux. Mais elle s’arrêta assez vite, et Bézuel était inquiet.

Or, le 34 juillet 1697, comme il se trouvait à deux heures après midi dans une prairie où ses camarades se livraient aux jeux de la récréation, il se sentit tout à coup étourdi et pris d’une sorte de défaillance, qui dura quelques instants. Le lendemain, à la même heure, il éprouva les mêmes symptômes, qui le frappèrent encore le surlendemain. Mais alors (c’était le vendredi 2 août) il vit s’avancer son ami Desfontaines, qui lui faisait signe de venir à lui. Il était assis, et dans l’abattement de sa défaillance, il fit à l’apparition un autre signe, en se reculant sur son banc pour lui faire place.

Les camarades qui circulaient à quelques pas de Bézuel virent ce mouvement, qui les surprit.

Comme Desfontaines n’avançait pas, Bézuel se leva pour aller à lui. L’apparition alors le prit par le bras gauche, le tira à l’écart, à trente pas de là et lui dit :

– Je vous ai promis que, si je mourais avant vous, je viendrais vous le dire. Je me suis noyé hier dans la rivière, à Caen, vers cette heure-ci. J’étais à la promenade ; il faisait si chaud qu’il nous prit envie de nous baigner. Il me vint une faiblesse dans la rivière, et je coulai au fond. L’abbé de Menil-Jean, mon camarade, plongea pour me retirer ; je saisis son pied ; mais soit qu’il crût que ce fût un saumon qui l’attaquait, soit qu’il sentît le besoin impérieux de remonter sur l’eau pour respirer, il secoua si rudement le jarret, qu’il me donna un grand coup dans la poitrine et me jeta au fond de la rivière, qui est là très profonde.

Desfontaines raconta ensuite à son ami diverses autres choses, qu’il ne voulut pas divulguer, soit que le noyé l’eût prié de ne pas le faire, soit pour d’autres raisons.

Bézuel voulut embrasser l’apparition. Mais il ne trouva qu’une ombre. Cependant l’ombre lui avait serré le bras si fortement, qu’il en conserva une douleur.

Il vit plusieurs fois encore le fantôme, toujours un peu plus grand que quand il s’était séparé de lui, et toujours dans le demi-nu d’un baigneur. Il portait dans ses cheveux blonds un écriteau où Bézuel ne put lire que le mot In. Il avait le son de voix de son être vivant, ne paraissait ni gai, ni triste, mais d’une tranquillité complète. Il chargea son ami de plusieurs commissions pour ses parents, et le pria de dire pour lui les sept psaumes de la pénitence, qui lui avaient été imposés par son confesseur, trois jours avant sa mort, et qu’il n’avait pas encore récités.

L’apparition se terminait toujours par un adieu exprimé en des mois qui signifiaient : Au revoir ! Enfin, elle cessa au bout de quelques semaines ; et l’ami survivant, qui avait constamment prié pour le défunt, en conclut que son purgatoire était fini.

Ce M. Bézuel acheva ses études, embrassa l’état ecclésiastique, devint curé de Valogne et vécut longtemps, estimé de ses paroissiens et de toute la ville, pour son bon sens, ses mœurs et son amour de la vérité.

On a voulu expliquer l’apparition du noyé par les pressentiments, par la sympathie. Ceux qui ont devancé Walter Scott dans sa manière d’apprécier de tels faits y ont vu une suite d’hallucinations. Mais comment M. Bézuel pouvait-il voir l’ombre ou l’âme de son ami et apprendre de cette âme des faits exacts et précis, dont le détail officiel ne lui parvint que plusieurs jours après ?

Quand Walter Scott attribuait tout prodige de ce genre à l’hallucination, il ne prévoyait pas ce qui est venu après lui, la manifestation des esprits, qui occupe un million de savants et de curieux en Amérique, et qui a fait chez nous si grande sensation.

Mais voici sans doute l’histoire qui avait frappé Bézuel et son ami.

Marsilio Ficino, savant chanoine de Florence, qui était né dans cette ville en 1433, estimé pour ses vertus, sa science et son mérite, s’entretenait un jour avec un de ses disciples, qu’il aimait beaucoup, sur l’immortalité de l’âme. Ce disciple était Michel Mercati, qui, troublé par quelques idées philosophiques, disputait avec le bon chanoine, de manière qu’ils ne s’entendaient pas. Alors ils convinrent, sous le bon plaisir de Dieu, que celui des deux qui mourrait le premier viendrait donner au survivant des nouvelles de l’autre monde.

Quelque temps après, ils se séparèrent, Ficino restant à son canonicat de Florence et Mercati retournant dans sa famille à Saint-Miniato, ville assez éloignée de la première.

Tous deux passèrent un long temps sans se revoir.

Or, un soir de l’année 1491, Michel Mercati, bien veillé, s’occupait de ses études philosophiques, lorsqu’il entendit tout à coup le galop d’un cheval, qui s’arrêta à sa porte. Il ouvrit sa fenêtre et vit un personnage vêtu de blanc, monté sur un cheval de même couleur, qui lui cria :

– Michel, rien n’est plus vrai que ce qu’on dit de l’autre monde.

Mercati reconnut son vieil ami Marsilio Ficino. Il le pria de s’arrêter. Mais le cheval reprit sa course ; et bientôt il ne le vit plus.

Il envoya aussitôt à Florence un domestique sûr, qui lui rapporta le surlendemain la mort de Ficino, arrivée à l’heure même où l’apparition avait eu lieu.

Mercati, terrassé, brûla ses livres de philosophie, dit adieu au monde et à ses vaines études et ne s’occupa plus que de son salut.

Le cardinal Baronius, qui rapporte ce fait dans le cinquième volume de ses Annales de l’Église, déclare qu’il le tient du petit-fils de Michel Mercati, jeune savant, qui était alors protonotaire apostolique, et aussi recommandable par sa prudence et sa sincérité que par sa probité intacte.

Voici encore une histoire du même genre, qui est si connue que nous pourrions nous dispenser de la rapporter. Mais elle appuie ce qui précède.

Le marquis de Rambouillet et le marquis de Précy, tous deux faisant la guerre, comme gentilshommes, tous deux dans l’âge de vingt-cinq à trente ans, et liés d’une étroite amitié, discutant un jour sur les choses de l’autre monde, se promirent aussi l’un à l’autre que le premier des deux qui mourrait viendrait éclairer son ami. Trois mois après, le marquis de Rambouillet partit pour la Flandre, où Louis XIV faisait la guerre. Le marquis de Précy resta à Paris, arrêté par une grosse fièvre. Six semaines plus tard, sur les six heures du matin, il entendit tirer ses rideaux. Il se tourna pour voir qui venait à lui et reconnut le marquis de Rambouillet. Il sauta de son lit et voulut se jeter à son cou, dans la joie que lui causait son retour. Mais Rambouillet, reculant, lui dit :

– Ces caresses ne sont plus de saison. Je ne viens que m’acquitter de la parole que je vous ai donnée. J’ai été tué hier ; et je sais maintenant que tout ce qu’on a dit de l’autre monde est très certain. Je viens donc vous exhorter à vivre autrement que par le passé, et vous dire que vous n’avez pas de temps à perdre, parce que vous aussi vous serez tué dans la première affaire où vous vous trouverez.

Précy s’avança vers son ami, qu’il croyait vouloir l’abuser ; mais il ne toucha rien de palpable. Cependant Rambouillet, le voyant incrédule, lui montra à ses reins la plaie qui l’avait tué et qui paraissait saigner encore. Après quoi, il disparut.

Effrayé et consterné, Précy sonna ses domestiques, et toute sa maison accourut ; il conta ce qui venait d’avoir lieu, et vit avec peine qu’on attribuait sa vision à la fièvre et qu’on la regardait comme ce que nous appelons une hallucination.

Son aventure bientôt se divulgua. Mais ce ne fut que cinq jours après que la poste arriva de Flandre. On n’avait alors ni chemins de fer, ni télégraphes électriques. Les nouvelles positives confirmèrent ce que Précy avait annoncé, la mort de Rambouillet et sa blessure.

Quoique beaucoup crussent que la vision de Précy pouvait bien être réelle, on s’efforça de lui persuader, par les pressentiments et les sympathies, qu’il n’y avait rien là de surnaturel, et que ce qu’il avait vu n’était qu’un songe qu’il avait fait éveillé. Il paraît qu’on parvint à le rassurer au point qu’il reprit du service ; et à la première bataille où il assista, il fut tué, comme son ami l’en avait prévenu.

Lecoyer, dans ses Histoires des spectres et des apparitions, raconte une aventure historique, et quia eu une grande publicité. Sous le règne de notre roi Charles IV, dit le Bel, dernier roi de la première branche des Capets, mort en 1323, l’âme d’un bourgeois, mort depuis quelques années et abandonné de ses proches, qui ne priaient pas pour lui, parut tout à coup sur la place publique d’Arles, rapportant de l’autre monde des choses merveilleuses et demandant secours. Ceux qui l’avaient vu en son vivant le reconnurent. Le prieur des jacobins, homme de sainte vie, à qui on alla dire cette apparition, se hâta d’aller voir l’âme, et croyant d’abord que c’était un esprit qui se travestissait dans la figure de ce bourgeois, il alla prendre avec les cierges une hostie consacrée et la lui présenta. Mais rame fit aussitôt reconnaître que c’était bien elle-même ; car elle se prosterna et adora Notre-Seigneur, ne demandant pas autre chose que des prières qui la tirassent du purgatoire, afin qu’elle pût entrer purifiée dans le paradis.

Nous pourrions ajouter beaucoup d’autres faits qui pour nous sont réels. Pourtant on n’en doit pas inférer que nous croyons fermement à toutes les histoires de revenants. Nous savons que le plus grand nombre de ces récits s’explique par des illusions, des hallucinations, par des fourberies et de mauvaises farces et enfin par des circonstances qui surprennent, tant qu’elles ne sont pas expliquées.

 

 

Jacques COLLIN DE PLANCY,

Légendes de l’autre monde, s. d.

 

 

 

 

 

 

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