L’hirondelle du Bouddha

 

 

                                                          À Edmond de Guerle.

 

 

Quand son enseignement eut consolé le monde,

Le Bouddha, retiré dans la djongle profonde

Et du seul Nirvâna désormais soucieux,

S’assit pour méditer, les bras levés aux cieux ;

Et, gardant pour toujours cette sainte attitude,

Il vécut dans l’extase et dans la solitude,

Concentrant son esprit sur un rêve sans fin,

Avant d’être absorbé par le Néant divin.

Le temps avait rendu tout maigre et tout débile

Le corps ossifié de l’ascète immobile ;

Les lianes grimpaient sur son torse engourdi

Qui ne réchauffait plus le soleil de midi ;

Et ses yeux sans regard, dans leurs mornes paupières,

Semblaient avoir acquis la dureté des pierres.

Il avait dû mourir, par la faim consumé ;

Mais les petits oiseaux, dont il était aimé,

Les oiseaux qui chantaient dans les branches fleuries,

Venaient poser des fruits sur ses lèvres flétries.

Et, depuis très longtemps, c’est ainsi que vivait

Le Bouddha vénérable, absolument parfait.

 

Donc mille et mille fois, et mille fois encore,

La lune qui blanchit et le soleil qui dore

Les forêts, sur son front tour à tour avaient lui,

Sans que se fût distraite un seul instant en lui

Sa pensée, en un songe immuable perdue,

Lorsque, dans sa main droite, au ciel toujours tendue,

Dans sa main sèche et grise ainsi que du granit,

Une hirondelle vint, un jour, et fit son nid.

 

L’extase du Bouddha ne parut point troublée

Par cette confiante et fidèle exilée

Qui, franchissant du vol la montagne et la mer,

Des froids climats du Nord revenait, chaque hiver,

Et retrouvait toujours son nid chaud et paisible

Dans le creux de la main du rêveur impassible.

À la fin, cependant, elle ne revint plus.

 

Et, quand les derniers temps furent bien révolus

Du retour des oiseaux que l’exil seul protège,

Lorsque l’Himalaya se fut couvert de neige,

Et lorsque tout espoir fut perdu, le Bouddha

Détourna lentement la tête ; il regarda

Sa main vide ; et les yeux du divin solitaire,

Qui depuis si longtemps n’avaient rien vu sur terre,

Ses yeux tout éblouis d’immensité, ses yeux

Éteints et fatigués de contempler les cieux,

Ses yeux aux cils brûlés, aux paupières sanglantes,

S’emplirent tout à coup de deux larmes brûlantes ;

Et celui dont l’esprit était resté béant

Devant l’amour du vide et l’espoir du néant,

Et qui fuyait la vie et ne voulait rien d’elle,

Pleura, comme un enfant, la mort d’une hirondelle.

 

 

 

François COPPÉE.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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