Justin

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

DANIEL-ROPS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’AN 163, À ROME

 

 

Martyre des saints martyrs Justin, Chariton, Charito, Évelpide, Hiérax, Péon, Libérien.

 

CÉTAIT au temps où sévissaient les infâmes défenseurs de l’idolâtrie. En ville comme à la campagne, étaient affichés contre les pieux chrétiens des ordres impies ; ils enjoignaient de les forcer à faire des libations, en l’honneur des vaines idoles.

On arrêta donc ensemble les saints. On les conduisit au préfet de Rome, Rusticus. Quand ils furent devant le tribunal, le préfet Rusticus dit à Justin : « D’abord soumets-toi aux dieux et obéis aux Empereurs ».

 

Justin : Personne ne peut être blâmé ou condamné pour avoir obéi aux commandements de notre Sauveur, Jésus-Christ.

Le préfet Rusticus : À quelle science te consacres-tu ?

– J’ai successivement étudié toutes les sciences. J’ai fini par m’attacher à la doctrine vraie des chrétiens, bien qu’elle déplaise à ceux que l’erreur égare.

– Et cette science-là te plaît, malheureux ?

– Oui ; car je m’attache à la doctrine véritable, en suivant les chrétiens.

– Quelle est cette doctrine ?

– Nous adorons le Dieu des chrétiens ; ce Dieu, nous croyons qu’il est unique, que dès l’origine il est le créateur et le démiurge de tout l’univers, des choses visibles et invisibles. Nous croyons que Jésus-Christ, l’enfant de Dieu, est Seigneur ; annoncé par les prophètes comme devant assister la race des hommes, messager du salut et maître du beau savoir, moi qui ne suis qu’un homme, je suis trop petit, je l’avoue, pour parler dignement de sa divinité infinie ; je reconnais qu’il y faut une puissance de prophète. Mais les prédictions existent qui concernent celui que j’ai dit le Fils de Dieu. Or les prophètes étaient inspirés d’en-haut, quand ils ont annoncé sa venue parmi les hommes.

Le préfet Rusticus demanda : « Où vous réunissez-vous ? »

– Où chacun veut et peut le faire. Crois-tu donc que nous nous assemblons dans un même endroit ? Non point : le Dieu des chrétiens n’est pas prisonnier d’un lieu. Il est invisible, il remplit le ciel et la terre ; partout il est adoré et glorifié par les fidèles.

– Réponds-moi donc : Où vous réunissez-vous ? Où rassembles-tu tes disciples ?

– Je demeure au-dessus d’un certain Martin, près du bain de Timothée. J’y reste de toujours, depuis que pour la deuxième fois, j’habite à Rome. Je ne connais pas d’autre lieu de réunion. Tous ceux qui ont voulu m’y trouver, je leur ai communiqué la doctrine de la vérité.

– Tu es donc chrétien ?

– Oui, je suis chrétien.

 

Le préfet Rusticus dit à Chariton : À ton tour, Chariton. Es-tu chrétien ?

– Je suis chrétien par la volonté de Dieu.

Le préfet Rusticus dit à une femme, Charito : « Et toi, que réponds-tu, Charito ? »

Elle répondit : « Je le suis par la grâce de Dieu. »

Rusticus à Évelpide : « Et toi, qu’es-tu, Évelpide ? »

Évelpide, esclave de César, répondit : « Moi aussi je suis chrétien. Je fus affranchi par le Christ, je partage la même espérance, par la grâce du Christ. »

À Hiérax Rusticus demande : « Toi aussi, es-tu chrétien ? »

– Oui, je suis chrétien, je vénère et j’adore le même Dieu.

– Est-ce Justin qui t’a fait chrétien ?

– J’ai toujours été chrétien, et je le serai toujours.

Péon se leva et dit : « Moi aussi, je suis chrétien. »

Rusticus : Qui t’a instruit ?

– Nous tenons de nos parents cette belle doctrine.

Évelpide ajouta : « J’écoutais sans doute avec plaisir les leçons de Justin ; mais je dois à mes parents d’être chrétien. »

Rusticus : Où sont tes parents ?

Évelpide : En Cappadoce.

Rusticus à Hiérax : Et les tiens, où sont-ils ?

– Notre père véritable c’est le Christ ; notre mère, la foi, par laquelle nous croyons en lui. Mes parents selon la chair sont morts. Je suis originaire d’Iconium en Phrygie, j’en ai été arraché et je suis venu ici.

Le préfet dit à Libérien : « Et toi, qu’as-tu à dire, es-tu chrétien ? Es-tu toi aussi un impie ? »

Libérien : Moi aussi je suis chrétien. Je ne suis pas un impie, mais j’adore le seul vrai Dieu.

 

Le préfet revint à Justin : « Écoute-moi, toi qu’on dit éloquent et qui crois posséder la doctrine véritable. Si tu es fouetté, puis décapité, es-tu convaincu qu’après tu monteras au ciel ? »

Justin : J’espère que j’y aurai ma demeure, si je supporte tout cela. Et je sais que la récompense divine est réservée, jusqu’à la consommation de l’univers entier, à tous ceux qui auront vécu de la sorte.

Rusticus : Tu t’imagines donc que tu monteras au ciel pour recevoir des récompenses ?

Justin : Je ne l’imagine pas, j’en suis convaincu, j’en ai la certitude.

Rusticus : Au fait. Arrivons à la chose qu’on vous demande et qui presse : Approchez et, tous ensemble, sacrifiez aux dieux.

Justin : Personne, à moins de perdre la raison, n’abandonne la piété pour l’impiété.

Rusticus : Si vous n’obéissez pas, vous serez châtiés sans pitié.

Justin : C’est là notre désir le plus cher : souffrir pour notre Seigneur Jésus-Christ, afin d’être sauvés. Ce sera notre salut et notre sécurité devant le tribunal plus redoutable de notre Maître et Sauveur, où le monde entier passera.

Les autres martyrs s’écrièrent de même : « Fais ce que tu veux. Nous sommes chrétiens et nous ne sacrifions pas à des idoles. »

 

Alors le préfet Rusticus rendit la sentence : « Que ceux qui n’ont pas voulu sacrifier aux dieux et obéir aux ordres de l’Empereur soient fouettés et emmenés pour subir la peine capitale, conformément aux lois. »

Les saints martyrs glorifièrent Dieu, puis furent conduits au lieu ordinaire des exécutions. Là, ils furent décapités, consommant ainsi le martyre dans la confession de notre Sauveur.

Quelques fidèles enlevèrent secrètement leurs corps et les déposèrent dans un lieu convenable soutenus par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire dans les siècles des siècles ! Amen.

 

 

 

DANIEL-ROPS, La geste du sang,

Textes choisis et présentés par A. Hamman, o.f.m.,

Fayard, 1951.

 

 

 

 

 

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