Dans les coffres du roi Melchior

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Rose DARDENNES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sa maigre figure de petite fille misérable collée aux barreaux de la grille en bois doré, Azia suit de ses yeux tristes, un peu bridés, le remue-ménage insolite du palais royal. Par toutes les portes, des serviteurs vont, viennent, courent, s’appellent ; dans la cour, d’autres apportent des coffres bardés de fer et des ballots d’étoffes précieuses ; aux écuries, on harnache le dromadaire blanc du roi Melchior et les chameaux de sa suite.

Ça ne l’intéresse pas tellement, Azia... mais ça lui passe le temps. Ses journées sont si longues, si longues, depuis qu’elle est toute seule en la grand-ville, pauvrette abandonnée ! Elle était heureuse, voilà quelques mois, dans la jolie maison rose aux tentures de soie, pleine de fleurs odorantes et toute chaude de la tendresse d’un papa et d’une maman. Mais une horde venue de l’Occident a détruit la maison rose et emmené captifs le papa et la maman qui faisaient tout son bonheur de petite fille. Où sont-ils à présent ? Quelque marchand d’esclaves les aura achetés au chef barbare, et revendus Dieu sait où... La pauvre petite Azia ne les reverra jamais. Des larmes perlent à ses yeux, et son petit visage ravagé se contracte à cette affreuse pensée.

Mais soudain, les cymbales et les harpes d’or la tirent de sa douloureuse rêverie. Tandis qu’elle revivait les heures terribles, un cortège s’est formé dans la cour du palais : les chameaux sont chargés, et la tente de pourpre sur le dromadaire blanc attend le roi qui s’avance en grand apparat.

« Adieu, mes amis, dit gravement celui-ci lorsque, sur un signe de lui, les instruments de musique se sont tus ; n’ayez nulle inquiétude pour moi, j’ai vu dans le ciel de décembre l’Étoile de Celui qui vient pour rassembler ce qui est dispersé ; je vais à Lui. »

Le cœur d’Azia a bondi ; une joie mystérieuse la porte toute. Elle n’écoute plus la suite, elle n’a retenu qu’un mot qui chante dans son cœur et qu’elle se répète inlassablement avec une grande espérance : « Celui qui vient pour rassembler ce qui est dispersé... » Celui-là, peut-être, saurait rassembler la famille heureuse, brutalement dispersée par les barbares ? Il vient pour cela ; le roi Melchior l’a dit.

« Celui qui vient pour rassembler ce qui est dispersé... » Une grande résolution est entrée dans le petit cœur d’Azia ; elle ne rêve plus ; elle regarde bien tout le cortège du roi, les coffres, les serviteurs, les chameaux, et tout ; on dirait qu’elle cherche quelque chose.

« Tiens, se dit une minute plus tard le jardinier qui l’avait remarquée, la petite Azia n’est plus là. »

Et puis c’est tout : est-ce qu’on s’occupe d’une petite inconnue quand on est le jardinier d’un roi d’Arabie ?

Ah ! bien oui !

Le jardinier sûrement n’y pense plus.

Mais quelle révolution, six semaines plus tard, dans le cortège du roi « des » rois...

Car ils sont trois maintenant : Gaspar, Melchior et Balthazar, qui se rencontrèrent en chemin, conduits par la même Étoile jusqu’à une pauvre bourgade juive où nous les retrouvons, ravis et prosternés, devant un petit enfant radieux sur les bras de sa mère.

« Vive Dieu qui nous conduisit ! » murmure Gaspar.

« Vive l’Enfant qui vient pour nous sauver !

– Soyez les bienvenus », dit en souriant la jeune maman.

Au Petit Enfant, ils ont offert, déjà, leurs présents : de l’or, de la myrrhe, de l’encens. Mais à sa maman, si aimable et si douce, Melchior veut offrir quelque chose aussi : un voile peut-être, un léger tissu de soie de son pays ?

« Qu’on apporte les étoffes précieuses. Madame Marie choisira. »

Sur le ballot que deux serviteurs ont déposé, Madame Marie se penche avec le roi Melchior. Mais tous deux ont le même recul de surprise : au cœur de ce ballot, une petite fille est endormie, pâle, maigre, et si triste.

Melchior ne sait s’il doit rire ou gronder. Mais Madame Marie se penche à nouveau.

« Pauvre mignonne ! » dit-elle en lui caressant le front.

Sous cette caresse, la fillette s’éveille, doucement, doucement, et ses grands yeux, soudain ravis, contemplent le Petit Enfant qui tend ses menottes et lui sourit.

La nouvelle s’est rapidement propagée : les serviteurs des trois rois et les gens de Bethléem se pressent sur le seuil pour apercevoir la mystérieuse petite fille. Une étrangère même est là, une esclave de passage avec sa maîtresse qui va à Jérusalem, quand un double cri, soudain, domine le murmure de la foule :

« Azia

– Papa ! »

La petite fille s’est élancée. Un esclave de Gaspar la reçoit dans ses bras et la couvre de baisers, tandis que l’étrangère, un instant paralysée par l’émotion trop violente, s’élance aussi, bousculant tout le monde pour les rejoindre :

« Azia !... Mohamed !...

– Djella !

– Mariam ! »

Azia passe des bras de son père à ceux de sa mère. Ils sont trop émus pour parler ; ils s’étreignent tous les trois en pleurant de joie, et le Petit Enfant les regarde et sourit.

Dans la foule, des bruits circulent : on dit que Mohamed, venu d’Éthiopie avec le roi nègre, fut tout récemment acheté par celui-ci à un marchand de l’Orient, et les Bethléemites racontent que Gaspar et la maîtresse de Djella, sûrement, ne sépareront plus ceux que Dieu a si merveilleusement réunis.

Azia, elle, ne se demande point comment cela s’est fait. Prenant d’une main son papa et de l’autre sa maman, elle les amène tout près du Petit Enfant et dépose un gros baiser sur ses pieds en disant :

« Merci, je savais bien que Tu nous réunirais. »

Alors, les rois, avec tous les gens, chantent joyeusement :

« Vive Celui qui est venu rassembler ce qui était dispersé ! »

 

 

 

Rose DARDENNES.

 

Recueilli dans Et maintenant, une histoire,

deuxième volume, Fleurus, 1955.

 

 

 

 

 

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