Le baiser rendu

 

 

Il s’est pendu ; dans l’ombre, au fond de la vallée,

Où, le soir, les vautours s’abattent par volée,

Où glapit le chacal, où le Cédron bondit ;

 

Il s’est pendu, tremblant de haine et d’épouvante,

Sans repentir du crime et de l’horrible vente,

Aux branches du figuier que le Maître a maudit.

 

L’ingrat n’a pas voulu de la miséricorde !

Il s’est pendu ; son corps s’agite et tord la corde ;

L’arbre desséché craque aux brusques soubresauts ;

 

Et sur les cailloux noirs fleuris de mousses vertes,

Le sang tombe ; il jaillit des entrailles ouvertes :

Des deux pieds allongés s’échappent deux ruisseaux.

 

Aux feux du jour qui monte et que le roc reflète,

Ses dents claquent ; il mord sa langue violette ;

De ses derniers hoquets tout l’arbre est ébranlé...

 

En ses yeux effarés la lumière est éteinte ;

Mais parmi les bruits sourds dont son oreille tinte,

L’écho lui jette encor deux mots : « Tolle ! Tolle ! »

 

S’il disait : « J’ai péché !... » Si, d’un appel intime,

Il murmurait : « Pardon ! » vers la Sainte Victime...

Non !... Son crime, il l’a fait ; son sort, il l’a subi.

 

C’est l’heure ; l’homme râle... Alors Satan s’approche ;

Sur le hideux visage où sa griffe s’accroche,

Il se penche ; il le baise et crie : « Ave, Rabbi ! »

 

 

 

Père Victor DELAPORTE,

À travers les âges, 3e série, 1923.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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