Conte pour le temps de Noël

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jean DESGAGNÉS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elles étaient toutes allumées dans la noirceur du ciel et toutes elles brillaient de leur mieux. Et les étoiles connues et les inconnues, et celle des marins perdus en mer et celle des marins non perdus. Et les étoiles qui ont toutes leurs pointes intactes et celles qui n’en ont plus que trois ou quatre parce qu’elles ont été heurtées par des compagnes peu prudentes. Toutes attentives à surveiller la juste déclinaison et la juste ascension droite, l’étoile polaire marquant le nord comme il se doit. Il faisait froid, très froid dans le ciel ; des astres s’interpellaient en arabe – on sait que l’arabe est la langue officielle des espaces sidéraux – on s’entretenait de luminosité, de coordonnées célestes, de questions plus personnelles encore. Des galaxies faisaient les cent pas dans les champs élyséens ; paisiblement, la chèvre broutait l’herbe des altitudes. De temps en temps passait un ange qu’on entendait répéter à soi-même les prières qu’il allait présenter à l’Éternel. Et les âmes des plus frais trépassés montaient, souvent avec des ailes d’occasion, « s’asseoir aux limbes », ainsi qu’on dit là-haut.

Les étoiles ne s’occupent guère des planètes, « ces conjugaisons de poussière et de noirceur », comme elles les appellent. Elles leur reprochent un manque d’imagination et la manie de toujours tourner en rond. De fait les planètes (Mars, Jupiter, la Terre et combien d’autres !) empruntent leur lumière d’une étoile autour de laquelle elles gravitent. Cette étoile-centre-de-gravitation prend alors le nom de soleil, elle s’acquitte bien de sa tâche mais les responsabilités la rendent parfois soucieuse ; c’est alors que nous avons des jours sombres.

Un peu avant le milieu de la nuit, la circulation angélique s’accrut d’une façon considérable, trop considérable, pour qu’on pensât aux marches de santé d’après les banquets célestes :

« Les voilà encore en procession ! » s’exclama une étoile athée.

« En voilà une heure pour se promener ! Ma foi ! Ils sont somnambules, s’ils croient que c’est ainsi qu’ils vont sauver le monde ! »

Ce n’était plus une procession, c’était le ciel qui sortait et se dispersait à travers les astres. Et les anges chantaient que la paix fût sur la terre aux hommes de bonne volonté. Des étoiles, celles qui comprenaient le latin, annoncèrent à leurs compagnes qu’il se passait de grandes choses sur une petite conjugaison de poussière et de noirceur, c’est-à-dire une planète. Tous les astres se tournèrent donc vers la terre qui brillait déjà d’une lumière très spirituelle. Et l’on sut qu’une étoile miraculeuse était de l’évènement, qui serait donnée en signe à des astrologues auxquels il fallait parler le langage des faits. Vers minuit, les chants s’amplifièrent, les anges insistaient que la paix fût sur la Terre et c’est ainsi que les astres surent que Dieu habitait tout spécialement cette planète. Attentives, des nébuleuses s’immobilisèrent la queue en l’air, des comètes cessèrent leur trajectoire. Et la nouvelle extraordinaire se propagea d’espace en espace, de galaxie en galaxie « in excelsis », comme disaient les anges dans leurs chants. Et la gloire de Dieu monta au plus haut du ciel où les étoiles brillaient de leurs feux les plus purs. Beaucoup d’entre elles suivirent les anges jusqu’à la Terre qu’elles jonchèrent, toutes blanches et fraîches et recueillies.

« Tiens ! il neige », dit la Vierge à Joseph. « Pourvu qu’Il ne prenne point froid ! »

 

 

 

Jean DESGAGNÉS.

 

Paru dans Amérique française

en 1952.

 

 

 

 

 

 

 

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