La maison de l’Ange

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Alexandre DUMAS

 

 

 

 

 

 

L’Ingelheim, qui est le Johannisberg de la petite propriété, peut, malgré l’infériorité où les gourmets le tiennent, se vanter d’avoir une origine non moins aristocratique que son rival, car, s’il n’est pas vendu par un prince, il fut planté par un empereur. Ce fut Charlemagne qui, ayant remarqué l’excellente exposition du terrain, y transporta les ceps du meilleur cru d’Orléans, et, selon son espérance, la vigne gagna cent pour cent par la transplantation. Ce fut une grande joie pour l’empereur d’avoir si bien réussi, attendu qu’après Aix-la-Chapelle sa résidence préférée était Ingelheim ou la maison de l’Ange. Voici à quelle occasion ce château fut baptisé de ce poétique et céleste nom.

Vers l’année 868, Charlemagne avait résolu de se faire bâtir un palais qui commandât le Rhin, et en 874 ce palais était bâti. C’était un magnifique édifice, moitié forteresse, moitié château, qui était soutenu par cinquante colonnes de marbre et cinquante colonnes de granit. Ces colonnes de marbre lui avaient été envoyées de Rome et de Ravenne par le pape Étienne III, et les colonnes de granit avaient été tirées de l’Adenwald. Si bien que, voyant sa nouvelle demeure impériale si heureusement achevée, il résolut d’y tenir une diète. En conséquence, les princes et les seigneurs environnants furent convoqués à cette grande solennité.

La nuit qui précéda le jour où la diète devait avoir lieu, et comme l’empereur venait de s’endormir, un ange lui apparut et lui dit ces paroles : « Charles, lève-toi et vole. » Charlemagne se réveilla aussitôt et sentit un parfum céleste dans sa chambre. Mais comme les paroles que l’ange lui avait dites lui paraissaient médiocrement en rapport avec les Commandements de Dieu et de l’Église, il se figura avoir fait un rêve, et se rendormit.

Mais à peine l’empereur avait-il les yeux fermés que la même vision lui apparut de nouveau, et qu’avec un visage sévère comme celui d’un messager qui a droit de s’étonner qu’on n’obéisse pas à ses ordres, l’ange répéta une seconde fois, d’une voix sévère, les paroles qu’il avait déjà dites et que l’empereur croyait avoir mal entendues. Il ouvrit aussitôt les yeux, et vit la chambre pleine d’une lumière céleste, qui alla peu à peu s’affaiblissant et finit par s’éteindre tout à fait.

Cependant, l’ordre était si étrange que Charlemagne hésita encore d’y obéir, et reposant la tête sur l’oreiller, se rendormit une troisième fois. À cette fois encore, le même ange lui apparut, mais avec un visage si menaçant, et il lui réitéra le même ordre avec une voix si impérieuse, que l’empereur, qui cependant n’était point facile à effrayer, en tressaillit de terreur, et se réveilla en sursaut. Cette fois, non seulement la même céleste odeur était répandue et la même lumière éclatante brillait, mais encore l’ange était debout près de son lit, et ce ne fut que lorsqu’il eut été certain que l’empereur ne pouvait pas douter de la réalité de sa présence qu’il étendit ses ailes d’or et disparut. Cette fois, Charlemagne n’eut plus aucun doute que l’ordre ne lui vînt du ciel, car le messager était trop beau pour être un envoyé de l’enfer.

Charlemagne n’hésita donc plus ; il se leva aussitôt, s’habilla à tâtons, tout en déplorant ce commandement du ciel qui lui ordonnait de commencer si tard un métier si infâme. Mais l’empereur était, comme Abraham, décidé à tout sacrifier à Dieu, même son honneur. En conséquence, il revêtit sa cuirasse, ceignit son épée et prit son casque à sa main, comme s’il allait commander une de ces expéditions guerrières pour lesquelles il avait autant de sympathie que pour celle-ci il avait de répugnance ; enfin, il sortit de sa chambre, et s’arrêtant sur une galerie qui dominait tout le pays, il fit une pause pour décider de quel côté il irait commettre ce vol qui l’embarrassait tant à accomplir.

La nuit, au reste, était sombre, et comme il convient à une telle expédition ; mais, si inspiratrice que fût l’obscurité, l’empereur était tellement novice dans le nouvel art qu’il lui fallait exercer que, quoiqu’il se promenât de long en large depuis près d’une heure, il ne lui était pas encore venu la moindre bonne idée, lorsque, tout à coup, il s’aperçut qu’on venait de lui voler son casque, qu’il avait posé sur la balustrade de la galerie. L’empereur chercha bien de tous les côtés, regarda en dedans et en dehors ; mais toute recherche fut inutile : le casque avait disparu.

Plus le vol était audacieux, plus le voleur était adroit ; et, plus le voleur était adroit, plus, en pareille circonstance, il pouvait donner un bon conseil à l’empereur. Aussi, il lui parut que ce vol était une nouvelle faveur du ciel qui, voyant son embarras, en avait eu pitié. En conséquence, élevant la voix :

– Que celui qui m’a volé mon casque, s’écria-t-il, se présente devant moi, et, sur ma parole royale, au lieu d’être puni, il recevra une récompense de cent ducats.

Aussitôt, un éclat de rire aigu retentit dans la galerie même, et, de dessous le tapis qui recouvrait une table, Charlemagne vit sortir son nain, qui s’approcha de lui et lui tendit le casque afin qu’il y jetât la somme promise.

– Ah ! c’est toi, infâme voleur, dit Charlemagne ; j’aurais dû me douter qu’il n’y avait que toi capable de faire un pareil coup, et ordonner qu’on te donnât cent coups de verges, au lieu de te promettre aussi imprudemment que je l’ai fait cent ducats.

– Oui, maître, dit le nain, c’eût été plus économique : c’est vrai ; mais un honnête homme n’a que sa parole. Voilà ton casque ; où sont les cent ducats ?

– Tu les auras tout à l’heure, quand tu m’auras donné un bon conseil.

– Les cent ducats, dit le nain, ont été promis pour le casque et non pour le conseil ; donne-moi les cent ducats pour le casque, et tu auras le conseil gratis.

Charlemagne étendit la main pour empoigner le drôle qui lui parlait avec tant de hardiesse ; mais le nain vit le mouvement, et, rapide comme la pensée, il sauta sur la balustrade, et, avec l’adresse et l’agilité d’un singe, il se mit à grimper le long d’une des colonnes, et ne s’arrêta que lorsqu’il fut à cheval sur une des feuilles du chapiteau. Là il se mit à chanter une chanson dont il composait à la fois l’air et les paroles. Cette chanson disait :

« J’ai déjà un casque, un beau casque, un casque surmonté d’une couronne royale : un casque qui me coûte cent ducats.

» Et je vais tâcher d’avoir au même prix une cuirasse et une épée, et alors je me ferai armer chevalier par quelque empereur qui n’ait jamais manqué à sa parole.

» Puis, quand je serai armé chevalier, que j’aurai une grande épée et une bonne lame, je m’en irai par monts et par vaux faisant justice, car dans les pays de Germanie et de France justice a grand besoin d’être faite.

» Mais, hélas ! où trouverai-je, pour m’armer chevalier, un empereur qui n’ait jamais manqué à sa parole ? »

Le bruit d’une bourse qui tombait sur les dalles interrompit l’improvisation du chanteur ; le nain comprit que sa morale avait produit son effet, descendit de sa corniche et alla ramasser la bourse, un œil sur elle et un œil sur l’empereur.

– Allons, viens ici, drôle, dit Charlemagne, et ne crains rien. J’ai besoin de toi.

– Oh ! alors, dit le nain, si tu as besoin de moi, c’est autre chose, et je n’ai plus peur.

– Je voudrais voler, dit Charlemagne.

– Mauvais métier, dit le nain, surtout lorsqu’on a affaire à des gens qui promettent et qui ne tiennent pas ; aussi, si tu m’en crois, puisque tu as le malheur d’être né honnête homme, reste honnête homme.

– Je te dis que je veux voler, dit Charlemagne d’un ton qui prouvait qu’il commençait à se lasser des réflexions philosophiques de son interlocuteur.

– Oh ! alors, dit le nain, si c’est une vocation décidée, il n’y a plus rien à dire. Que veux-tu voler ?

– Ah ! voilà ce que je ne sais pas, dit Charlemagne. Mais je veux voler quelqu’un, et cela tout de suite, cette nuit.

– Diable ! dit le nain, eh bien ! volons.

– Mais qui voler ? demanda Charlemagne.

– Tiens, dit le nain en étendant la main, vois-tu cette pauvre cabane ?

– Oui, dit l’empereur.

– Eh bien ! il y a là un bon coup à faire. Si pauvre qu’elle te paraisse, elle renferme aujourd’hui cent florins : depuis près de dix ans le paysan qui l’habite travaille tous les jours de cinq heures du matin à huit heures du soir, de sorte qu’à force de remuer la terre il a mis de côté cette somme. La porte ferme mal, le brave homme a le sommeil dur, tu vois qu’il est facile à voler.

– Misérable ! s’écria Charlemagne, tu veux que j’aille prendre à un malheureux le fruit de dix ans de travail, un argent tout trempé de sa sueur !

– Moi ! dit le nain, je ne veux rien ; tu me demandes un conseil, je te le donne, et voilà tout.

– À un autre, à un autre ! s’écria Charlemagne.

– Vois-tu cette maison de campagne ? dit le nain en étendant le doigt dans une autre direction.

– Je la vois, répondit l’empereur.

– C’est celle d’un riche commerçant ; celui-là, ce ne sont point des florins que tu trouveras chez lui, ce sont des ducats, et ce ne sera point par centaines que tu les trouveras, ce sera par milliers.

– Et sans doute, dit Charlemagne, c’est en faisant l’usure et en vendant à faux poids qu’il a acquis une pareille fortune.

– Non, dit le nain, non. C’est, au contraire, en faisant pour lui comme pour les autres des calculs tellement exacts que sa probité est devenue un proverbe, et que par hasard, à celui-là, la probité a rapporté ce que rapporte aux autres la friponnerie.

– Comment ! gredin, dit l’empereur, et c’est justement un homme qui a fait fortune d’une manière si honorable que tu veux que je ruine ?

– Je ne veux rien, dit le nain ; c’est toi au contraire qui veux voler. Je te dis quels sont ceux qui ont de l’argent, voilà tout.

– Oui, sans doute, je veux voler, dit l’empereur, mais non pas le pauvre laboureur, non pas le commerçant industrieux ; j’aimerais mieux voler quelque bon abbé, engraissé par le repos, enrichi par la dîme, qui n’ait jamais rien fait que dormir, manger et boire. Voilà qui je voudrais voler, si tu veux le savoir.

– Peste ! pour un commençant, dit le nain ce n’est pas mal raisonné ; mais en volant un tel homme, ce serait toujours les pauvres que tu volerais, car il saurait bien se faire rendre le lendemain par le peuple le double de ce que tu lui aurais pris.

– Eh bien ! alors, dit l’empereur, je voudrais voler quelqu’un de ces mauvais chevaliers qui ne vivent que de pillages et de roberies ; qui trahissent ceux qu’ils devraient servir, et qui oppriment ceux qu’ils devraient défendre.

– Oh ! alors, c’est autre chose, que ne t’expliquais-tu tout de suite, dit le nain. J’ai ton affaire. Vois-tu ce château fort ?

– Oui, dit Charlemagne.

– Eh bien ! c’est au seigneur Harderic, le plus grand brigand que la terre ait porté après le roi Attila.

– Tant mieux, dit l’empereur.

– Mais là, ce ne sera pas chose facile. Il a le sommeil léger et la main lourde. Il y aura des coups à gagner.

– Tant mieux, tant mieux ! dit l’empereur.

– Eh bien ! alors, va-t’en mettre une autre cuirasse, une cuirasse sombre comme la nuit dans laquelle il faut que nous nous glissions. Va prendre un poignard court au lieu de cette longue épée. L’épée est une arme de jour pour atteindre de loin. La nuit on ne frappe que ce qu’on touche. On a les yeux à la main, et il ne faut pas que les yeux soient trop loin de la lame. Va et reviens, je t’attends ici, en comptant les ducats pour voir si mon compte y est.

L’empereur ne se le fit pas dire à deux fois ; il rentra chez lui, et revint bientôt couvert d’une cotte de mailles d’acier bruni, qui lui prenait le corps comme un pourpoint, et lui emboîtait la tête comme un capuchon. Il avait de plus à sa ceinture un couteau, large, court et tranchant comme le glaive romain. Le nain l’examina des pieds à la tête et fit un signe approbatif.

– Allons, dit Charlemagne, en route.

– En route, dit le nain.

Et tous deux sortirent du palais ; et dans la route la plus directe, c’est-à-dire à travers terre, s’avancèrent vers le château de Harderic.

Chemin faisant, Charlemagne, ayant rencontré une borne qui servait à marquer les limites d’un champ, l’arracha de terre et la mit sur son épaule.

– Que diable fais-tu là ? dit le nain.

– Crois-tu que nous trouverons la porte ouverte ? demanda l’empereur.

– Non pas, répondit le nain.

– Eh bien ! j’emporte de quoi l’enfoncer.

Le nain éclata de rire.

– C’est cela, dit-il, et au premier coup que tu frapperas, toute la garnison sera sur pied, et alors que trouveras-tu à prendre ? Quelque poule effarouchée qui se sera sauvée dans les fossés. Je te croyais plus fort, maître.

– Comment faut-il donc faire ? demanda Charlemagne un peu confus de son inexpérience.

– Cela me regarde, dit le nain.

Charlemagne laissa tomber sa borne, et continua sa route sans dire une seule parole.

Arrivés à la porte, comme l’avait pensé Charlemagne, ils trouvèrent la porte fermée. Alors il regarda son nain comme pour lui demander ce qu’il fallait faire ; le nain lui fit signe de se tenir le plus près de la porte qu’il lui serait possible ; et s’élançant sur un figuier qui croissait dans les fossés, et du figuier se cramponnant à la muraille, il monta, enfonça successivement ses mains et ses pieds dans les intervalles des pierres jusqu’aux créneaux, et disparut. Un instant après, Charlemagne entendit une clef grincer dans la serrure : la porte s’ébranla lourdement, mais sans bruit, puis s’entrebâilla juste ce qu’il fallait pour laisser passer un homme. Charlemagne passa ; le nain repoussa la porte avec les mêmes précautions qu’il avait prises pour l’ouvrir, et les deux voleurs se trouvèrent dans la cour du château.

– Voilà votre chemin, dit le nain en montrant à Charlemagne l’escalier qui conduisait aux appartements du château ; voilà le mien, continua-t-il en montrant l’écurie.

– Pourquoi ne viens-tu pas avec moi ? demanda Charlemagne.

– Parce que j’ai aussi mon coup à faire, moi, dit le nain.

Et se mettant à courir à quatre pattes comme un chien, afin de ne pas être reconnu pour une créature humaine dans le cas où il serait vu, il traversa le préau, et entra dans l’écurie.

Cette confiance du nain piqua d’honneur Charlemagne ; il monta l’escalier le plus doucement qu’il put, entra dans les appartements, et grâce à un rayon de la lune qui justement parut au ciel en ce moment, il parvint jusqu’à la chambre qui précédait celle où Harderic couchait avec sa femme. Arrivé là, il étendit la main pour voir s’il ne trouverait rien à prendre, et sa main tomba sur un coffre cerclé qui lui parut devoir contenir de l’argent ou des bijoux. En ce moment le cheval du châtelain hennit si violemment que Charlemagne en tressaillit.

– Holà ! dit Harderic en s’éveillant en sursaut, que se passe-t-il dans mon écurie ?

– Rien, répondit la voix de sa femme, c’est ton cheval qui hennit.

– Mon cheval n’a pas l’habitude de hennir ainsi, dit Harderic, il faut que quelqu’un qu’il ne connaît pas essaie de le détacher.

– Et qui veux-tu qui essaie de détacher ton cheval ?

– Qui, pardieu ! un voleur.

Et à ces mots, Charlemagne entendit Harderic descendre de son lit et prendre son épée. Alors il se retira en arrière et, grâce au rayon de la lune, il le vit passer. Charlemagne demeura dans son coin, en maudissant le nain, et en tenant à tout hasard sa main sur la garde de son épée.

Au bout d’un instant le châtelain rentra.

– Eh bien ! lui dit sa femme, qu’y avait-il dans l’écurie ?

– Il n’y avait rien, répondit Harderic, mais depuis trois ou quatre nuits je ne puis pas dormir.

– Et tu ne peux pas dormir parce que tu médites sans doute quelque chose.

– C’est vrai, dit le châtelain.

– Et que médites-tu ?

– Je puis te le dire maintenant, répondit Harderic, car le moment où notre projet doit s’accomplir est presque arrivé ; demain, moi et onze autres comtes, barons et seigneurs, nous devons tuer le roi Charles, qui nous empêche d’être les maîtres chez nous, ce que nous sommes las de supporter, et ce que nous ne voulons plus souffrir.

– Ah ! ah ! fit tout bas Charlemagne.

– Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! dit la châtelaine désolée, et si votre complot échoue, vous êtes tous perdus.

– Impossible, dit le châtelain, nous sommes liés entre nous par les serments les plus terribles ; demain, convoqués à la diète avec tous les autres, nous entrons au palais sans exciter aucun soupçon ; nous serons bien armés, et il ne le sera pas, nous entourons son trône, nous le frappons, et il tombe.

– Et quels sont les conjurés ?

– C’est ce que je ne puis pas dire, même à toi ; mais leur engagement signé de leur sang est ici dans la chambre à côté, enfermé dans la cassette qui se trouve sur la table.

Charlemagne allongea la main, la cassette était bien là où l’avait dit Harderic.

– Hélas ! dit la châtelaine, Dieu veuille que tout cela tourne bien !

Amen, dit le châtelain.

Et il se remit à dormir : pendant quelque temps encore on entendit les soupirs de la châtelaine, mais bientôt sa respiration douce et égale se mêla aux ronflements de son mari : tous deux avaient repris leur sommeil interrompu.

Alors Charlemagne prit la cassette, la mit sous son bras, traversa les appartements, descendit l’escalier, et arriva dans la cour. Là, il vit son nain qui se débattait sur le cheval de guerre du châtelain qui hennissait et piaffait, comme s’il jugeait indigne de lui d’obéir à un si misérable écuyer. Mais alors le bon empereur s’élança dessus, et à peine le cheval eut-il senti le poids d’un homme, et eut-il compris à quel cavalier exercé il avait affaire, qu’il devint doux comme un mouton. Alors Charlemagne prit le nain par le collet de son habit, le mit en croupe, et partit au grand galop.

En arrivant au château, Charlemagne ouvrit la cassette qu’il avait volée, et y trouva les engagements des douze conjurés signés de leur sang. Alors il fit éveiller ses gens et ordonna qu’on dressât dans une des cours du palais onze potences de taille ordinaire, et une douzième plus élevée que les autres, et au haut de chacune de ces onze potences, il fit clouer sur un écriteau le nom d’un des douze conjurés, et sur la potence la plus élevée le nom de leur chef Harderic.

Puis, comme il y avait deux entrées au palais, il ordonna de recevoir tous les autres barons convoqués par une autre porte et dans une autre cour, et de ne recevoir que les conjurés par la porte et dans la cour des potences.

Et il fut fait ainsi que Charlemagne l’avait ordonné, si bien que lorsqu’il vit tous les barons réunis, il leur raconta le complot tramé contre lui, leur montra l’engagement signé du sang des douze conjurés, et leur demanda quelle peine ils avaient méritée ; et tous les barons, d’une seule voix, dirent qu’ils avaient mérité la mort.

Alors Charlemagne fit ouvrir les fenêtres qui donnaient sur la seconde cour, et les barons virent les douze conjurés pendus aux douze poteaux.

Et en mémoire de l’apparition céleste à laquelle il devait la vie, il nomma le palais où elle avait eu lieu Ingelheim, ou la maison de l’Ange.

 

 

Alexandre DUMAS, Excursions sur les bords du Rhin, 1841.

 

Recueilli par Francis Lacassin

dans Contes et légendes des grands chemins,

Édition établie et préparée par Francis Lacassin,

Bartillat, 2000.

 

 

 

 

 

 

 

 

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